[F] Jeu découvert. […] A la renaissance des Lettres en Europe, les Comédiens, toujours contredits par les Prêtres, tour-à-tour tolérés & chassés par les Gouvernemens, n’eurent que des Salles, de peu d’étendue, telles que pouvaient se les procurer de simples particuliers, dont l’établissement n’était pas stable ; & ceci même procura un bien : les Acteurs parurent sur la Scène dans leurs proportions naturelles ; leur jeu fut simple ; faute d’art & de moyens, ils nous indiquèrent le comble de l’art : mais ils ne firent que nous l’indiquer ; ils en étaient bien éloignés eux-mêmes : ce fut Baron, l’élève de Molière, qui ramena l’art à la nature, & qui fut l’instituteur de la belle Déclamation.
La première condition que Saint Thomas exige pour rendre le Jeu permis, et sous le nom du Jeu la Comédie, est que la fin du Jeu ou de la Comédie soit le divertissement ou le relâchement du corps ou de l’esprit : « Quod ordinatur ad solatium hominibus exhibendum. […] Comment donc avez-vous pu attribuer à la Comédie ce que ce Saint ne dit que de la conversation, en parlant du second Jeu que l’on doit tolérer ? […] Cependant c’est contre ces Jeux et ces Spectacles qu’il déclame, et non point contre ceux des Païens. […] C'est ce que l’on peut dire en général des Jeux défendus, dans lesquels on doit toujours considérer l’excès et le scandale. […] Mais cela seul vous fait voir qu’on a toujours mis une grande différence entre ces Jeux et vos Comédies ; et que vous devez en mettre encore entre elles, et les Jeux des Collèges qui se font pour exercer les Ecoliers, et dans lesquels il n’y a rien de malhonnête.
Mais c’est par jeu, dit-on. Quel jeu ! […] Dieu le voit-il impunément, même par jeu ? […] Il n’y avoit que l’Empereur & ceux qui étoient autour de lui, en face & près du théatre, qui pussent appercevoir tout ce jeu. […] Ce jeu même eût été inutile ; les grands masques qui couvroient le visage, cachoient tout.
L’autre, pour se purger de sa magnificence, Dit qu’elle gagne au jeu l’argent qu’elle dépense, Et le mari bénêt, sans songer à quel jeu, Pour les gains qu’elle fait rend ses graces à Dieu. […] Nous avons remarqué que George Dandin & l’Amphitrion, représentées à la Cour dans les jours brillans du règne de Madame de Montespan, étoient les apologies de l’adultère, & le faisoient passer pour un jeu dont il ne faut pas s’embarrasser, dont on doit même se faire honneur quand le Souverain des Dieux daigne être le rival. […] La sagesse des parens s’oppose aux passions insensées : il faut mépriser leur autorité, & faire des mariages malgré eux ; faisons un jeu de l’adultère, ce n’est pas un crime, c’est un panache sur la tête des maris ; leur jalousie est un ridicule, une petitesse inutile, on n’en fait pas moins, voilà Isabelle & Agnès. […] Tobie de son côté se préparoit à son mariage, non par la société des libertins, les mauvais discours des domestiques, des parties de plaisir, le bal, le jeu, la comédie ; mais par la religion, l’aumône, la modestie, la soûmission à ses parens, toutes les vertus que son père avoit eu soin de lui enseigner dès le berceau : Quem ab infantia timere Deum docuit, & abstinere ab omni peccato. […] Les mêmes bons mots, mêmes jeux de théatre, mêmes idées, sentences, morale, intrigue, ressassés de mille manieres, se retrouvent par-tout.