Veut-il dire que ce sont des gens tels que sont ceux dont Horace nous fait la peinture, qui menaient à la vérité une vie païenne, mais couverte néanmoins d’un extérieur innocent, et qui n’avait rien qui pût blesser le monde. […] Cependant conduire un chariot pour le faire courir plus vite que les autres (qui était ce qui se faisait dans les spectacles du Cirque, et où il y avait de l’adresse de l’esprit et du corps) était une chose bien plus innocente, que de réciter des Vers, et de représenter des passions souvent mauvaises, et qui peuvent porter au péché. […] Et certes, la curiosité ne passera jamais pour une chose innocente dans l’esprit de ceux qui ont lu dans les saintes Ecritures les funestes suites qu’eut celle de Dina,Gen. 35. […] Les métiers les plus innocents et les plus utiles sont interdits par respect à la sainteté du jour.
Au moins apprenez-moi comme il faut agir avec vous, car je vois qu’on vous fâche quand on dit que les Poètes empoisonnent, et je crois qu’on vous fâcherait encore davantage, si l’on vous disait que vous n’empoisonnez point, que votre muse est une innocente, qu’elle n’est pas capable de faire aucun mal, qu’elle ne donne pas la moindre tentation, qu’elle ne touche pas seulement le cœur, et qu’elle le laisse dans le même état où elle le trouvef. […] Tout ce qu’on peut conclure de là, c’est que la Poésie est bonne d’elle-même, qu’elle est capable de servir aux divins mystères, qu’elle peut chanter les louanges de Dieu, et qu’elle serait très innocente si les Poètes ne l’avaient point corrompue. […] Quelquefois ses vers peuvent être assez innocents, mais la volonté du Poète est toujours criminelle, les vers n’ont pas toujours assez de charmes pour empoisonner, mais le Poète veut toujours qu’ils empoisonnent ; il veut toujours que l’action soit passionnée et qu’elle excite du trouble dans le cœur des spectateurs. […] Mais quoi que vous disiez contre des personnes d’un mérite si connu dans le monde et dans l’Eglise ; ce sera par leur vertu qu’on jugera de vos discours, on joindra le mépris que vous avez pour elles, avec les abus que vous faites de l’Ecriture et des Saints Pères ; et l’on verra qu’il faut que vous soyez étrangement passionné, et que ceux contre qui vous écrivez soient bien innocents, puisque vous n’avez pu les accuser sans vous railler de ce qu’il y a de plus saint dans la Religion, et de plus inviolable parmi les hommes, et sans blesser à même temps la raison, la justice, l’innocence et la pitié.
Sur ce que vous dites qu’une chose qui peut produire quelquefois de mauvais effets dans des esprits vicieux, quoique non vicieuse d’elle-même, ne doit point être défendue, quand surtout elle peut servir à l’instruction et au délassement des hommes ; je réponds avec Saint Augustin, (voilà un Antagoniste digne de vous ;) je réponds, dis-je, avec Saint Augustin, que le fond de l’homme étant naturellement vicieux et corrompu, et les meilleures choses par conséquent sujettes à être tournées en poison presque chez tous les hommes, tout ce qui se présente à eux sous une image de volupté, même la plus innocente, peut causer de terribles impressions sur les âmes, et les cause même nécessairement. […] Venons à ce que vous dites, que si la Comédie rectifiée et prise en elle-même, ne laisse pas d’être mauvaise, il faut bannir des Eglises les peintures les plus innocentes, comme les Vierges agréables de visage, les Suzanne et les Madelaine.
Il est juste que le prévenu se défende, & se justifie, s’il est innocent ; on n’excuse point le crime, on le nie au contraire, & on en infirme les preuves.