Il faut que la dévotion de ces Saints de Théâtre soit toujours un peu galante: c'est pourquoi la disposition au Martyre n'empêche pas la Théodore de M. de Corneille de parler en ces termes: « Si mon âme à mes sens était abandonnée, Et se laissait conduire à ces impressions Que forment en naissant les belles passions. » Et l'humilité de théâtre souffre qu'elle réponde de cette sorte en un autre endroit : « Cette haute puissance à ses vertus rendue, L'égale presque aux rois dont je suis descendue ; Et si Rome et le temps m'en ont ôté le rang, Il m'en demeure encor le courage et le sang.
Il faut considérer quelle est leur origine, quelles sont les mœurs ordinaires des acteurs et des actrices, quelle est la matière et le but de leurs représentations ; quels effets ces représentations produisent dans les acteurs et dans les spectateurs ; quelles impressions elles leur laissent.
« Ceux-là se trompent étrangement qui s’imaginent que les ouvrages de ce genre ne font sur eux aucune impression funeste, parce qu’ils n’y réveillent aucun désir coupable. […] « Et qu’on ne s’imagine pas que, de ce que l’on ne va pas au spectacle pour former ses sentiments, mais bien pour se divertir, il s’ensuive que les maximes coupables dont les pièces de théâtre abondent ne peuvent être funestes ; ces maximes ne manquent pas de faire impression, bien que nous ne nous en apercevions pas. […] Si nous avions pour la gloire et le service de Dieu seulement la moitié de la sensibilité et du zèle que nous témoignons à nos amis ou à nos partisans politiques, trouverions-nous quelque plaisir dans des lieux où la débauche enflammée par les fumées du vin, guidée par la licence, vient puiser des impressions conformes à son état et à ses goûts ; ces lieux qu’on a osé appeler des écoles de morale, et du voisinage desquels s’empressent de se retirer la morale, la modestie, la décence, tandis que la débauche et le libertinage s’empressent de s’y rendre, et y établissent leur résidence de prédilection ; ces lieux où le saint nom de Dieu est journellement blasphémé, où l’on applaudit des gestes et des paroles qui ne seraient pas tolérés dans une société quelconque, mais qui peuvent hardiment dépasser toutes les limites les plus reculées assignées à la licence dans nos cercles, sans franchir les limites tout autrement larges de la décence théâtrale ; ces lieux enfin où la morale qu’on débite n’est pas celle que doit chérir et respecter tout chrétien, mais celle à l’extirpation de laquelle doivent tendre ses efforts de tous les jours ; non celle que nous recommandent les saintes Ecritures, mais celle qu’elles condamnent comme fausse et criminelle, fondée sur l’orgueil, l’ambition et la faveur. […] Les personnes qui fréquentent les spectacles ne vont pas y chercher, et n’y trouvent pas en effet, des impressions graves et sérieuses ; tout au contraire, leurs âmes s’y énervent et n’y puisent que des sentiments frivoles ou romanesques.
En effet, rien n’est plus capable de nous inspirer une crainte salutaire de l’amour que les excès et les transports effrénés où cette passion entraîne les trois principaux Acteurs de la Tragédie d’Andromaque ; et leur misérable sort devient une excellente leçon pour nous corriger par les impressions de la terreur. […] De plus, cette passion excite différents sentiments et différentes impressions dans les Spectateurs mêmes ; tantôt elle corrige par l’horreur, comme dans Andromaque et autres Pièces du même genre, où les Amants éprouvent les derniers malheurs, et sont punis de leur passion par la perte même de la vie ; tantôt elle corrige par la compassion, comme dans le Cid, où les traverses, qui rendent les deux Amants malheureux, sont d’autant plus propres à corriger, que les Scènes d’amour de la même Tragédie en sont plus capables de corrompre, et le dénouement plus dangereux. […] Je me suis enfin déterminé à ne juger de la Pièce que comme les Spectateurs, et à la considérer uniquement du côté de l’impression que ce mélange d’irrégularité et de bon exemple peut faire sur ceux devant qui elle est représentée. […] Quoique je ne les condamne point d’en être vivement émus d’horreur ; je ne puis cependant m’empêcher de savoir bon gré au Poète, qui, pour détruire par une forte impression le sentiment et le désir de la vengeance, a choisi un des faits le plus marquant que l’antiquité nous ait laissé en ce genre.