Le soir tous les travaux sont finis ; nous transportons chez nous les impressions que nous avons reçues, elles nous suivent dans la solitude de la nuit, & fournissent de la matiere à nos réflexions & quelquefois à nos rêves . […] S’il y a dans les pieces quelque chose de licencieux, quelque mauvaise morale, les occupations de la journée en auroient affoibli les impressions ; nous les emportons toutes entieres chez nous, elles nous suivent dans le silence de la nuit. […] La Miladi théologienne, qui trouve dans Shakespear un traité complet de morale, prétend avec raison que l’exemple fait plus d’impression que les préceptes, & qu’un drame offre l’un & l’autre (& même étaie l’un par l’autre).
C’est en copiant la nature que la Musique fait impression. […] Elle a étudié tout ce qui fesait impression sur nous dans la nature ; elle met à profit ses remarques ; & on lui attribue aussi-tôt des éffets qui viennent d’une cause plus éloignée. […] Certain Auteur prétend avec raison, qu’il ne faut qu’une chanson amoureuse, chantée bien tendrement, pour faire impression dans le cœur d’une jeune personne42.
C’est le son de la voix que nous entendons qui nous fait impression, & non les paroles chantées dont nous perdons souvent une partie. C’est pour cela qu’il faut que la voix sorte par un bel organe ; les mêmes paroles chantées avec la même justesse, les mêmes Modulations, ne nous feront pas la même impression, si les oreilles ne sont pas frappées d’un si beau son, au lieu que nous n’exigeons pas le bel organe du Déclamateur ; la voix d’Antoine que Cicéron trouvoit si propre à émouvoir, étoit, dit Quintilien, une voix rauque, & l’Auteur d’Athalie a possédé plus que personne, le talent de la Déclamation, quoique la Nature ne lui eût pas donné une belle voix, & qu’il fût incapable de chanter un seul air avec justesse ; il ne savoit pas prendre les tons du Musicien, & en déclamant il prenoit toujours ceux de la Nature. Dans ce que je viens dire sur la différente impression que font sur nous la Musique & la Déclamation, je puis me tromper ; mais si tout le monde n’est pas de mon avis, je crois être de l’avis de tout le monde, lorsque je regarde un Opera comme un Poëme d’une espece bizarre, qui n’a de commun avec la Tragédie que le titre qu’on lui donne, comme un Ouvrage contraire au bon sens, comme un Spectacle, qui sans occuper l’esprit enchante tous les sens & ennuie à la fin.
« Nos âmes, dit-il, reçoivent des impressions continuelles de la constitution différente de nos corps ; ce qui me fait croire qu’il y a entre les uns et les autres plus d’affinité que nos Philosophes et nos Théologiens ne veulent leur en attribuer. […] Peut-on s’assurer que les impressions présentes qui nous font connaître et aimer un objet, seront durables ? […] Il faudra donc que tout homme soit ou ami ou ennemi malgré lui et aussi longtemps à point nommé qu’il plaira aux Atomes : chaque changement dans l’Impulsion et dans la figure dérangera la première impression et y substituera une idée nouvelle.