C’est que, dans cette entreprise, un Ecrivain se trouve d’abord arrêté par des obstacles qui mortifient son amour-propre ; car, d’un côté, des personnes pieuses regardent comme un crime, la seule proposition de faire absoudre les Comédiens par l’Eglise ; & de l’autre, les trois quarts des Spectateurs traitent de ridicule, le soin que l’on prend de justifier leur plaisir : de façon que cette défense est, aux yeux des Dévots, un attentat ; & aux yeux des Gens du monde, un pédantisme. […] C’est dans des vues aussi utiles à la société, qu’il a peint la stupidité de certains Gentillâtres, l’entêtement des Roturiers qui veulent être Gentilshommes, les fausses caresses des gens de Cour, les Fats, les Précieuses. […] Il est vrai que le Tartuffe n’a peut-être pas été infructueux envers ceux qui se sont le plus courroucés contre lui, & que les gens d’Eglise pouvoient avoir alors un extérieur affecté, & une ardeur à se mêler des affaires des familles, que l’on ne remarque plus en eux à présent. […] Ce n’est pas que de tout tems, il n’y ait eu parmi eux de très-honnêtes gens. […] Et dire, que le mal des Spectacles réside dans la réunion de tant de gens assemblés pour un objet agréable, n’est qu’un raisonnement spécieux.
c’est une pièce dont bien des gens ont été charmés. […] Mais quelle que fût cette autorité, les Anciens n’ont rien fait paraître en sa faveur qui pût nuire à la vertu des gens de bien. […] Vous devez consulter de plus habiles gens que moi ; ou vous en rapporter au témoignage de votre conscience ; car vous êtes assez homme de bien pour n’avoir pas une conscience tout à fait erronée. […] Je ne laisse pas que de dire, que les Grecs valent infiniment mieux que nous ; car c’est ainsi que parlent les gens d’esprit, et je suis trop de vos amis pour parler autrement. […] Une mère ambitieuse, qui pour se venger du mépris que son fils fait des dignités qu’on lui offre, va elle-même le livrer à la mort : tout cela ne peut-il pas paraître sur le Théâtre Français ; et plaire même aux gens les plus délicats ?
D’ailleurs on sçait que vous n’en prenez qu’à votre aise ; que vous n’êtes pas gens à vous fatiguer. […] ne voit-on pas tous les jours mille gens se dépouiller de bijoux du plus grand prix, pour se jetter sur des bagatelles, sur des frivolités ?
LE grand usage de ce divertissement qui est si agreable à la veuë, & à l’esprit, fera peut-être, qu’il ne me sera pas facile de desabuser les personnes, qui se voyent autorisées de l’exemple de tant de gens, & favorisées de l’inclination de la nature corrompuë : Mais peut-être aussi, quand j’auray ôté le bandeau de dessus leurs yeux, ne verront-elles pas moins le danger du Theatre, qu’elles en ont trouvé jusques icy les spectacles charmans. […] La vertu la plus severe ne s’en pourroit presque pas garantir, & vous voulez, que des gens, qui ne respirent que les plaisirs des sens, puissent être avec innocence parmi tant de dangereux apas, où ils se jettent encore, & se plaisent ? […] mon Dieu, Madame, laissons là, je vous prie, cette partie si delicate de l’Eglise, sans la toucher rudement : Ces gens portent alors avec eux leur condamnation, sans que nous soyons obligez de parler ; nous ne devons avoir, que le silence, & le gemissement, respectant toûjours leur caractere ; nous n’avons qu’à baisser les yeux de honte, pour celle, qu’ils ne prennent pas, comme pour nous persuader, que nos yeux ne voyent pas, ce qu’ils voyent en effet ; & je m’assûre, que vous même, ayant l’esprit un peu Chrêtien, vous ne tirerez pas avantage d’un exemple, qui passe le scandale ordinaire, pour aller plus librement à la comedie. […] Cela veut dire enfin, que ce n’étoit pas assez au Demon, que les gens d’une conscience toute perduë fussent à luy, par la scandale d’un Theatre infame ; si ceux, que quelque pieté rend recommandables, n’en étoient faits encore les victimes, par le poison inspiré de l’amour, qu’un nouveau Theatre apprend aujourd’huy, plus modestement, mais aussi plus malicieusement, qu’il ne fît jamais.