Qui peut éluder la force de cette présomption ? […] Cette objection a plus de malignité que de force, elle ne tend qu’à mettre aux prises la piété & l’autorité, l’Église & le sceptre, & à fermer la bouche aux Ministres par la crainte & le respect : artifice ordinaire au vice, comme à l’erreur, qui ont intérêt de s’étayer par la division des deux puissances. […] Je doute qu’on voulût, pour affermir sa santé, faire les épreuves du Roi de Pont, & on s’imaginera devenir charitable à force de barbarie, & chaste à force d’incontinence ! […] Que c’est un mauvais juge de la prétendue expérience de sa force, qu’un homme livré au plaisir ! […] Aveuglement & chûtes innombrables, qui sont la juste punition de la présomption en ses propres forces, & de la témérité qui s’expose au danger : punition la plus ordinaire & la plus redoutable : Ut videntes non videant.
Les Nations qui ont cultivé le corps plus que l’esprit, ont donné la préférence aux Spectacles où la force du corps & la souplesse des membres se montraient. […] » D’où il suit deux choses : la première que les spectacles où on voit la force du corps & la souplesse, ne demandent presque point d’art, puisque le jeu en est franc, sérieux, & réel, & qu’au contraire ceux où l’on voit l’action de l’áme, demandent un art infini, puisque tout y est mensonge, & qu’on veut le faire passer pour vérité. […] Malheureusement cet agent capable de produire des effets si grands & si avantageux, est au-dessus de toutes les forces humaines ; ce serait celui qu’emploierait un Dieu : le moyen de corriger les mœurs par les Loix & par le Théâtre, est le seul qui reste à des hommes ; quelqu’imparfait qu’il soit, mettons-le en usage, après avoir détruit tous les abus ; châtions le Drame, puisqu’il le faut, mais appliquons-nous d’abord à desinconvénienter la Représentation. […] Enfin il semble que ceux dont les Troupes dépendent immédiatement, pourraient y faire règner un ordre exact, sans employer la voie honteuse des châtimens, qui ne serait propre qu’à rétrécir le génie, & à abâtardir le talent : des hommes & des femmes comme la plupart de nos Comédiens formés, ne sont pas des machines qu’on ne remue que par la force : ils ont de l’esprit, du bon sens ; & la manière la plus efficace avec des gens de cette trempe, ce serait des distinctions flateuses, lorsqu’ils quitteraient le Théâtre. […] Il y a dans les Indes une Religion qui défend comme des crimes les plaisirs les plus innocens ; qui force les hommes dont elle s’est une fois rendue maitresse, à vivre dans la terreur, l’angoisse, les gémissemens ; qui, sous prétexte d’une félicité plus qu’incertaine, charge ses aveugles Sectaires de pratiques difficiles, déraisonnables, contraires à la nature, & destructives de la société.
La scène représente les hommes agissant volontairement ou par force, estimant leurs actions bonnes ou mauvaises, selon le bien ou le mal qu’ils pensent leur en revenir, & diversement affectés, à cause d’elles, de douleur ou de volupté. […] En effet, la raison veut qu’on supporte patiemment l’adversité, qu’on n’en aggrave pas le poids par des plaintes inutiles, qu’on n’estime pas les choses humaines au-delà de leur prix, qu’on n’épuise pas, à pleurer ses maux, les forces qu’on a pour les adoucir, & qu’enfin l’on songe quelquefois qu’il est impossible à l’homme de prévoir l’avenir, & de se connoître assez lui-même pour sçavoir si ce qui lui arrive est un bien ou un mal pour lui. […] Ainsi l’égalité, la force, la constance, l’amour de la justice, l’empire de la raison, deviennent insensiblement des qualités haïssables, des vices que l’on décrie ; les hommes se font honorer par tout ce qui les rend dignes de mépris ; & ce renversement des saines opinions est l’infaillible effet des leçons qu’on va prendre au Théâtre. […] Comme celui qui s’occuperoit dans la République à soumettre les bons aux méchans, & les vrais chefs aux rebelles, seroit ennemi de la Patrie, & traître à l’État ; ainsi le Poëte imitateur porte les dissensions & la mort dans la République de l’ame, en élevant & nourrissant les plus viles facultés aux dépens des plus nobles, en épuisant & usant ses forces sur les choses les moins dignes de l’occuper, en confondant par de vains simulacres le vrai beau avec l’attrait mensonger qui plaît à la multitude & la grandeur apparente avec la véritable grandeur. […] J’en dis autant de l’amour, de la colère, & de toutes les autres passions, auxquelles devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon.
Pour répondre à cette objection il faut supposer, Mademoiselle, deux sortes de scandale : celui que l’on recherche & celui que l’on rencontre par hasard : celui-ci n’est pas un crime, dès que l’on use de son droit, & qu’on ne peut l’éviter, c’est assez de combattre & de s’armer de force & de courage au moment de la tentation. […] quel danger pour la jeunesse en qui la convoitise est dans toute sa force, d’en contempler en ce cercle diabolique, qui n’ont rien d’étudié que l’immodestie, la dissolution & l’impudence. […] Les Partisans de la Comédie ont encore un retranchement, Mademoiselle ; ils avouent que cet exercice n’est point fait pour tout le monde, on ne doit le permettre qu’aux esprits bien faits, aux cœurs aguerris, ; mais ils ne voyent pas, dès qu’on les supposent en cette heureuse disposition, qu’on puisse leur en faire un crime : il faut des amusemens dans la vie pour se délasser, sans quoi l’on perdroit les forces & le courage, & c’est là, disent-ils, l’état precisément à quoi les faux zélés voudroient nous réduire, en nous interdisant les Spectacles. […] Son retour rend la vie à toute la nature ; les êtres étoient plongés pendant la nuit dans une espéce de néant d’où cet Astre les tire ; il répand ses rayons sur l’Hémisphére, comme une source abondante ; mais ses forces diminuent dès qu’il a fourni les deux tiers de sa carriere ; un nuage aussi beau que l’Aurore, l’accompagne jusqu’au bord de l’Océan, & se confond enfin avec les ténébres qui remplacent le jour. […] Il est gouverné par des Rois, & depuis Samuel, la succession des Prophétes n’est pas interrompue ; les hommes remplis de l’esprit de Dieu, & dévorés par le zéle, ne cessent d’exhorter ce Peuple indocile, de le ménacer de la part du très-Haut qui fait venir enfin contre lui toutes les forces de l’Assirie & de la Chaldèe.