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39. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE I. Préjugés légitimes contre le Théatre. » pp. 4-29

Qui peut éluder la force de cette présomption ? […] Cette objection a plus de malignité que de force, elle ne tend qu’à mettre aux prises la piété & l’autorité, l’Église & le sceptre, & à fermer la bouche aux Ministres par la crainte & le respect : artifice ordinaire au vice, comme à l’erreur, qui ont intérêt de s’étayer par la division des deux puissances. […] Je doute qu’on voulût, pour affermir sa santé, faire les épreuves du Roi de Pont, & on s’imaginera devenir charitable à force de barbarie, & chaste à force d’incontinence ! […] Que c’est un mauvais juge de la prétendue expérience de sa force, qu’un homme livré au plaisir ! […] Aveuglement & chûtes innombrables, qui sont la juste punition de la présomption en ses propres forces, & de la témérité qui s’expose au danger : punition la plus ordinaire & la plus redoutable : Ut videntes non videant.

40. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Sixième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 40-72

Les Nations qui ont cultivé le corps plus que l’esprit, ont donné la préférence aux Spectacles où la force du corps & la souplesse des membres se montraient. […] » D’où il suit deux choses : la première que les spectacles où on voit la force du corps & la souplesse, ne demandent presque point d’art, puisque le jeu en est franc, sérieux, & réel, & qu’au contraire ceux où l’on voit l’action de l’áme, demandent un art infini, puisque tout y est mensonge, & qu’on veut le faire passer pour vérité. […] Malheureusement cet agent capable de produire des effets si grands & si avantageux, est au-dessus de toutes les forces humaines ; ce serait celui qu’emploierait un Dieu : le moyen de corriger les mœurs par les Loix & par le Théâtre, est le seul qui reste à des hommes ; quelqu’imparfait qu’il soit, mettons-le en usage, après avoir détruit tous les abus ; châtions le Drame, puisqu’il le faut, mais appliquons-nous d’abord à desinconvénienter la Représentation. […] Enfin il semble que ceux dont les Troupes dépendent immédiatement, pourraient y faire règner un ordre exact, sans employer la voie honteuse des châtimens, qui ne serait propre qu’à rétrécir le génie, & à abâtardir le talent : des hommes & des femmes comme la plupart de nos Comédiens formés, ne sont pas des machines qu’on ne remue que par la force : ils ont de l’esprit, du bon sens ; & la manière la plus efficace avec des gens de cette trempe, ce serait des distinctions flateuses, lorsqu’ils quitteraient le Théâtre. […] Il y a dans les Indes une Religion qui défend comme des crimes les plaisirs les plus innocens ; qui force les hommes dont elle s’est une fois rendue maitresse, à vivre dans la terreur, l’angoisse, les gémissemens ; qui, sous prétexte d’une félicité plus qu’incertaine, charge ses aveugles Sectaires de pratiques difficiles, déraisonnables, contraires à la nature, & destructives de la société.

41. (1764) De l’Imitation théatrale ; essai tiré des dialogues de Platon : par M. J. J. Rousseau, de Genéve pp. -47

La scène représente les hommes agissant volontairement ou par force, estimant leurs actions bonnes ou mauvaises, selon le bien ou le mal qu’ils pensent leur en revenir, & diversement affectés, à cause d’elles, de douleur ou de volupté. […] En effet, la raison veut qu’on supporte patiemment l’adversité, qu’on n’en aggrave pas le poids par des plaintes inutiles, qu’on n’estime pas les choses humaines au-delà de leur prix, qu’on n’épuise pas, à pleurer ses maux, les forces qu’on a pour les adoucir, & qu’enfin l’on songe quelquefois qu’il est impossible à l’homme de prévoir l’avenir, & de se connoître assez lui-même pour sçavoir si ce qui lui arrive est un bien ou un mal pour lui. […] Ainsi l’égalité, la force, la constance, l’amour de la justice, l’empire de la raison, deviennent insensiblement des qualités haïssables, des vices que l’on décrie ; les hommes se font honorer par tout ce qui les rend dignes de mépris ; & ce renversement des saines opinions est l’infaillible effet des leçons qu’on va prendre au Théâtre. […] Comme celui qui s’occuperoit dans la République à soumettre les bons aux méchans, & les vrais chefs aux rebelles, seroit ennemi de la Patrie, & traître à l’État ; ainsi le Poëte imitateur porte les dissensions & la mort dans la République de l’ame, en élevant & nourrissant les plus viles facultés aux dépens des plus nobles, en épuisant & usant ses forces sur les choses les moins dignes de l’occuper, en confondant par de vains simulacres le vrai beau avec l’attrait mensonger qui plaît à la multitude & la grandeur apparente avec la véritable grandeur. […] J’en dis autant de l’amour, de la colère, & de toutes les autres passions, auxquelles devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon.

42. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE X. » pp. 171-209

Pour répondre à cette objection il faut supposer, Mademoiselle, deux sortes de scandale : celui que l’on recherche & celui que l’on rencontre par hasard : celui-ci n’est pas un crime, dès que l’on use de son droit, & qu’on ne peut l’éviter, c’est assez de combattre & de s’armer de force & de courage au moment de la tentation. […] quel danger pour la jeunesse en qui la convoitise est dans toute sa force, d’en contempler en ce cercle diabolique, qui n’ont rien d’étudié que l’immodestie, la dissolution & l’impudence. […] Les Partisans de la Comédie ont encore un retranchement, Mademoiselle ; ils avouent que cet exercice n’est point fait pour tout le monde, on ne doit le permettre qu’aux esprits bien faits, aux cœurs aguerris, ; mais ils ne voyent pas, dès qu’on les supposent en cette heureuse disposition, qu’on puisse leur en faire un crime : il faut des amusemens dans la vie pour se délasser, sans quoi l’on perdroit les forces & le courage, & c’est là, disent-ils, l’état precisément à quoi les faux zélés voudroient nous réduire, en nous interdisant les Spectacles. […] Son retour rend la vie à toute la nature ; les êtres étoient plongés pendant la nuit dans une espéce de néant d’où cet Astre les tire ; il répand ses rayons sur l’Hémisphére, comme une source abondante ; mais ses forces diminuent dès qu’il a fourni les deux tiers de sa carriere ; un nuage aussi beau que l’Aurore, l’accompagne jusqu’au bord de l’Océan, & se confond enfin avec les ténébres qui remplacent le jour. […] Il est gouverné par des Rois, & depuis Samuel, la succession des Prophétes n’est pas interrompue ; les hommes remplis de l’esprit de Dieu, & dévorés par le zéle, ne cessent d’exhorter ce Peuple indocile, de le ménacer de la part du très-Haut qui fait venir enfin contre lui toutes les forces de l’Assirie & de la Chaldèe.

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