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28. (1644) Responce à deux questions, ou du charactere et de l’instruction de la Comedie. Discours quatriesme « Responce à deux questions, ou du charactere et de l’instruction de la Comedie. » pp. 100-132

Nos gens ont cherché de l’esclat & de la force où il ne failloit que de la clarté & de la douceur. […] Pensez vous, Monsievr, que la force & l’audace de ces premiers Vers vaille dauantage que la douceur & la modestie de ces derniers, & que le pompeux & le magnifique soit icy le meilleur, & le plus loüable ? […] Ce n’est, Monsievr, ny foiblesse ny lascheté que cette douceur apparente ; c’est vne force dissimulée. […] Et pour cette-cy, il est tres-certain, Monsievr, & Pericles mesme, le sublime & l’Olympien Pericles en demeureroit d’accord auec nous, que l’Eloquence ne doit pas tousjours aller par haut, & que toutes ses actions ne doiuent pas estre de toute sa force. […] On y voit de plus, Monsievr, cinq ou six hommes derriere les Satyres & les Nymphes, entre lesquels je m’imagine Menandre & Aristophane, les tablettes & le crayon à la main, & aupres d’eux vn chariot à demy renuersé, d’où sont tombez des habillemens de Theatre, quelques flustes, plusieurs brodequins, & force masques.

29. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE IX. Spectacles de la Religion. » pp. 180-195

les Comédiens plus dissous par la force du feu que par la dissolution de leurs mœurs & de leurs gestes ! […] Ramassez toutes les forces de votre génie, disoit-il aux impies ennemis de Job, couvrez-vous de vos plus riches habits, & venez disputer avec moi, formez des machines qui opèrent des merveilles semblables aux miennes. […] par quelle force l’aigle plane-t-il au-dessus des nues, & d’un vol rapide fond-il sur sa proie ? […] Quel Poëte (fût-il Corneille), quel Orateur approche de l’élévation, du style, de la grandeur des pensées, de la sagesse des maximes, de la force des expressions, de la douceur, de l’insinuation, du naturel même & de la belle simplicité qui font le caractère du langage céleste de celui dont les levres font couler le lait & le miel ! […] Eh que sont dans vos spectacles ces tours de force, ces tours d’adresse, en comparaison de nos miracles ?

30. (1760) Lettre d’un curé à M. M[armontel] « letter » pp. 3-38

J’apprenais de toutes parts qu’il y avait jeté quantité d’idées neuves et vigoureuses sur le danger des Spectacles, tels même qu’on les représente parmi nous, et usé de ces coups de force qui surprennent, réveillent, et donnent enfin ouverture à d’utiles réflexions. […] Sans cesse on nous redit que le Théâtre en soi n’a rien d’illégitime ; que jamais il ne fut moins dangereux pour les mœurs ; qu’on n’y fait point de mal, qu’on en sort l’esprit aussi pur et le cœur aussi calme qu’on y était entré ; que c’est même une école de vertu ; que si les Pères et les Conciles se sont élevés avec tant de force contre les représentations théâtrales de leurs temps, c’est qu’elles offraient alors mille excès visiblement répréhensibles, qu’on a heureusement bannis des Spectacles d’aujourd’hui : qu’après tout il est bien étrange que nous veuillons être plus austères sur le maintien des bonnes mœurs, qu’on ne l’est sous les yeux du Souverain Pontife, à Rome même, « de qui nous avons appris notre Catéchisme, et où l’on ne croit pas que des Dialogues récités sur des planches soient des infamies diaboliques »2, comme s’exprime M. de Voltaire. […] J’espérais dès lors que vous alliez réunir toutes vos forces et ranimer tout votre zèle pour en réprimer les accès. […] J’appelle bravoure une vertu qui nous engage à toute entreprise au-dessus des forces communes et ordinaires pour un objet honnête, utile, important, nécessaire : qui nous fait prendre les mesures les plus justes pour y réussir, nonobstant un danger très apparent qui nous expose à perdre quelque chose de précieux, et qu’il nous est très intéressant de conserver. […] la bravoure se borne-t-elle à des coups de force qui émanent du corps, et ne renferme-t-elle pas aussi la fermeté d’âme et la vigueur de l’esprit ?

31. (1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre précedente. » pp. 19-42

Hé par quelles forces se soûtiendra la personne d’un caractere tel que vous m’étalez ? par ses propres forces ? […] Cette decision de saint Paul peut servir de resolution au doute, que Madame *** proposa : car je veux pour un moment, que la Comedie dont je parle, soit comtée entre les choses indifferentes, ou qu’elle passe pour telle à l’égard des personnes, qui ne courent aucun danger d’y commettre le peché : je veux même, pour pousser le parallele plus loin, que la Comedie soit pour des ames, qui ont une vertu à l’épreuve, ce que les viandes immolées aux Idoles étoient pour ceux qui étoient instruits de la liberté des enfans de l’Eglise : mais on m’avouera, comme les Corinthiens, quand ils donnerent occasion aux autres, qui n’étoient pas si bien instruits, devinrent coupables du scandale qu’ils leur donnoient ; que ceux-ci, quand par leur exemple ils authorisent les autres, qui n’ont pas la même force, ni une vertu qui se peut exposer au danger de commettre le peché, sont aussi responsables de tout le mal, que les foibles y feront. […] « Le chemin qui conduit à la vie est étroit ; & la voie, qui conduit à la perdition, est large, & celle, que presque tout le monde suit : le royaume des cieux (dit Jesus-Christ ailleurs) se prend par force, & ceux, qui employent la force, le ravissent » : Matt. 11. v. 12. […] Que conclûre de tout cela, si non que la chute y est presque infaillible ; & que ce seroit, ou ne pas sçavoir la force de ces objéts, ou ignorer la foiblesse de nôtre nature, ou se faire une vertu chimerique, ou par une vaine présomption vouloir trouver sa sureté au milieu des écueils, que de ne pas juger, que toutes les circonstances de la Comedie n’aient rien, qui de soi-même ne donne quelque penchant au peché ?

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