Il condamne en général toute danse, et la regarde comme un exercice aussi contraire au bon sens qu’aux bonnes mœurs.
Monsieur l’Abbé de la Tour pense avec raison qu’il n’y a rien de plus préjudiciable, que d’exercer les jeunes gens à des représentations théatrales. « Tous ces exercices, dit-il, ne peuvent que leur apprendre à entendre & à parler le langage des passions. […] J’ai consulté ceux qui ne les fréquentoient plus : ce qu’ils m’en ont dit m’a fait conjecturer que le Théatre, quelque idée que l’on s’en forme en spéculation, est l’école & l’exercice des passions, puisque son objet est de les exciter ; & que c’est de cet effet que dépend le succès de toute Piece dramatique. […] On connoît les changemens arrivés dans nos mœurs depuis que les grands Seigneurs, devenus oisifs dans leurs terres par la privation de l’exercice de la justice & des autres privileges de l’ancien droit féodal, commencerent à être attachés à la Cour & à la Capitale, autant par le plaisir que par l’intérêt & l’ambition.
Riccoboni en avoit rempli plusieurs portefeuilles, tout cela est très-peu de chose ; c’est proprement l’acteur qui compose, il a plus besoin de génie, d’exercice, de fécondité que l’auteur, pour remplir sur le champ ces idées seches, & imaginer à propos des choses plaisantes, analogues à la piece ; on sent combien doit être licencieux un dialogue abandonné à l’imagination libertine d’un comédien, & d’une actrice qui peuvent impunément dire tout ce qui leur vient dans l’esprit, pour faire rire le parterre. […] Tant de prix académiques de tant d’especes : Science, Eloquence, Poésie, Musique, Peinture, Sculpture, Chirurgie, Agriculture, Dessein, & notamment prix Dramatique, établi depuis quelques années, & accordé pour la premiere fois, au sieur du Beloy ; bourgeois de Calais ; & ces innombrables académies ou écoles, pour toutes sortes d’objets, ont bien pu faire naître dans une Cour toute Française, l’idée d’une école dramatique, pour la représentation ; on y joindra bien tôt aussi l’académie de musique, de la danse, de poésie, on en fera une Université théatrâle, avec les quatre facultés, les assemblées de ce corps gravissime de l’amplissime Recteur, des savantissimes Professeurs, des illustrissimes Docteurs, de ces méritissimes Licenciés, Bacheliers, comédiens, formeront une jolie scéne, qu’ouvrira un bedeau avec sa masse ; on n’y oubliera pas les écolieres & les régentes des actrices, qui ne sont pas moins nécessaires que les acteurs, soit qu’on les incorpore dans les classes & les corps des acteurs ; soit qu’on en fasse une université fémelle, séparée avec ses facultés, ses suppots, ses appartenances, ce qui seroit plus décent, mais qui exerceroient moins les uns & les autres, que s’ils prenoient leurs leçons & faisoient ensemble leurs exercices académiques.
En eût-il d’abord quelque peine, en répétant ces pieux exercices, il se familiarisera à la longue avec la méchanceté, & en viendra jusqu’à regarder les plus mauvaises actions, non-seulement comme bonnes & justes, mais comme grandes, nobles, divines . […] Si ces opulens ne suppléent par des exercices convenables aux fatigues du corps dont ils sont dispensés ; si au lieu de vaquer à des fonctions honnêtes, ils regardent le travail avec mépris ; s’ils treuvent qu’il est beau de s’ensevelir dans l’oisiveté & la mollesse, il est impossible que les passions n’exercent tous leurs caprices, & que l’esprit qui conservent toute son activité, ne produise mille monstres.