A cela je réponds qu’il n’est pas vrai qu’il ait donné cette haine à son personnage : il ne faut pas que ce nom de Misanthrope en impose, comme si celui qui le porte était ennemi du genre humain. […] l Ce n’est donc pas des hommes qu’il est dit ennemi, mais de la méchanceté des uns et du support que cette méchanceté trouve dans les autres. […] Les Spectateurs ne voudraient pas, à la vérité, lui ressembler : parce que tant de droiture est fort incommode ; mais aucun d’eux ne serait fâché d’avoir à faire à quelqu’un qui lui ressemblât, ce qui n’arriverait pas s’il était l’ennemi déclaré des hommes. […] Peut-il en être étonné quand on l’en instruit, comme si c’était la première fois de sa vie qu’il eût été sincère, ou la première fois que sa sincérité lui eût fait un ennemi ? […] Mais l’autre ne commence pas même à l’être : il se rend plutôt l’ennemi public, par la séduction de ses complices, par l’exemple et l’effet de ses mœurs corrompues, surtout par la morale pernicieuse qu’il ne manque pas de répandre pour les autoriser.
Je fis représenter les vices ennemis de la société ; on auroit été choqué des préceptes, on écoute, en s’amusant, une morale sublime qui éclaire & corrige. […] Ces deux Poëtes étoient rivaux, sans être ennemis, & plaisoient tous deux sans se ressembler.
Le Theâtre François dont j’ay entrepris d’écrire l’histoire dans ma solitude, n’est pas bien connu de la pluspart de ceux qui se declarent ses ennemis, & ils s’en font de fausses idées, parce qu’ils les appuyent sur de faux ráports. […] La Comedie, qui par cette seule raison deuroit auoir autant de partisans zelez qu’il y a de gens en France, ne manque pourtant pas d’ennemis qui la dechirent, & qui arment contre elle & contre ceux qui la font, les Peres & les Conciles. […] Les Illustres Ennemis. […] Les Freres ennemis. […] Le Cid dont le merite s’attira de si nobles ennemis, & les Horaces, que le méme Cid eut plus à craindre, parce que leur gloire alla plus loin que la sienne, furent les deux premiers ouurages de ce Grand Homme qui firent grand bruit ; & il a soûtenu le Theâtre jusques à cette heure de la méme force.
Parlons vrai, Monsieur, croyez-vous qu’un Auteur qui donneroit au Parterre de Londres une bonne Tragédie, où avec tout l’art et; toute l’habileté d’un Voltaire, il introduiroit un Athénien reprochant à un Romain l’injuste préjugé qui rend ces deux Nations ennemies l’une de l’autre, qui lui feroit des leçons d’humanité, qui enfin lui prouveroit que plus deux Peuples sont vertueux, sages et; éclairés, plus ce doit être une raison d’union, et; qu’en pareil cas la rivalité ne doit avoir lieu que pour combattre de vertus ; pensez-vous, dis-je, qu’un tel personnage n’attireroit pas les applaudissemens des Spectateurs ? […] C’est ainsi qu’on couvre de fleurs le piége qu’on tend à son ennemi. […] Cette maxime est bonne à vos ennemis en ce qu’ils vous nuisent à leur aise et; sans crainte de représailles ; elle est bonne aux Lecteurs qui ne craignent point que votre haine leur en impose, et; sur-tout à vous, qui restant en paix tandis qu’on vous outrage, n’avez du moins que le mal qu’on vous fait, et; non celui que vous éprouveriez encore à le rendre…. » Ces sentimens sont beaux, la théorie en est admirable, la pratique en seroit adorée. […] Votre modération vis-à-vis vos ennemis est sans contredit la marque d’une belle ame, mais n’en seroit-ce pas une preuve bien plus grande de ne s’en point faire ? […] La vérité, me répondrez-vous, fait des ennemis.