La question morale, est-il permis d’aller à la comédie, n’a intéressé personne, en occident, depuis la chute de l’Empire Romain, dont le théatre fut une des principales causes : il périt avec lui. […] Mais à Rome, à Constantinople & dans les deux Empires, où tous les Peres & les Conciles le foudroyoient ; mais à Paris, dans toute la France & toute l’Europe, depuis plus d’un siécle que toute l’Eglise le condamne, le théâtre est bien autre chose. […] Des piéces sans nombre qui n’enseignent, ne représentent, ni ne respirent que les passions & singuliérement l’impureté, des génies singuliers, éloignés de nos éloges, s’ils faisoient un bon usage de leurs talens, des voix luxurieuses ; des femmes à demi-nues, des peintures lascives, des paroles équivoques, des danses lubriques, l’empire du luxe, en un mot un assemblage recherché de tous les plaisirs & de tous les dangers à la fois, un élixir de tous les vices, un chef-d’œuvre de séduction toujours subsistant & multiplié à l’infini, qui fait par-tout les plus grands ravages : y a-t-il d’objets plus importans dans la Réligion & les mœurs, & peut-il y avoir deux avis dans le Christianisme sur les anathêmes qu’il mérite. […] Le royaume de ce Prince fut divisé en Tétrarchies entre ses enfans, & ne fit plus de sensation dans l’Empire.
Vainement par une sévère pénitence la piété ravit l’un & l’autre au théatre ; l’empire des passions y étoit établi. […] Il faut que par-tout la scène, prostituée au libertinage, soit une école de galanterie, que l’amour tienne le sceptre, donne des leçons, corrompe les mœurs, renverse l’ordre, assure l’empire aux femmes, l’esclavage aux hommes, décide de la paix & de la guerre, viole les droits divins & humains, & soit enfin l’unique divinité. […] Cependant quel empire absolu ne leur donne pas les romans ? […] On dit que la crainte faisoit les Dieux ; je dirois plutôt que c’est l’amour des femmes, tel qu’il est traité dans les romans & sur le théatre, où cette folle passion a établi le plus puissant empire.
L’Auteur rappelle d’abord qu’au commencement de ce siècle la Russie éclairée voyoit avec plaisir les grands de l’Empire jouer la comédie, & qu’il ne manquoit plus à la Pologne que de suivre cet exemple & de prendre des leçons de ses magnats travestis en baladins. […] Ces deux sortes d’Acteurs toujours d’accord, s’étayent mutuellement pour se livrer au vice dont ils sont les suppôts, en maintenir & en étendre l’empire. […] Mais le goût du théatre aveugle, ces hommes ont un nom dans la littérature, mais ils n’en ont point dans l’empire de la religion & de la vertu. […] Enfin pour mettre la dernière main à l’empire de Thalie, il ne manque que devoir les Italiens à l’Hôtel de Conti ; mais il n’y a point d’apparence que la comédie soit jamais, sous la protection d’un Prince dont les ancêtres furent les plus grands ennemis. […] La République & l’Empire Romain avoit des principes fort différens de ceux des Empereurs d’Allemagne.
A quel excès la débauche n’est-elle pas portée dans les villes capitales d’un Empire (Paris, Londres, Naples, &c.) […] Les petites villes, les familles laborieuses ne font pas les heureux climats où la Scène a établi son plus brillant empire ; elle y est presque inconnu : mais les villes capitales où le remede souverain de tous les désordres est le mieux préparé & le plus accrédité par les habiles médecins du vice, ou les comédiens & les comédiennes sont le mieux payés & le plus suivis. […] Aucun passion n’exerce un plus severe despotisme sur ses esclaves ; les tributs n’adoucissent point son empire : plus on lui accorde plus elle exige. […] Ce bon Religieux croyant sa fortune littéraire faite & son immortalité assurée dans l’empire des Lettres, s’il étoit éditeur de ce chef-d’œuvre, ne négligea rien pour en tirer profit. […] Dans l’empire de Thalie, on donne à Regnard le premier rang après Moliere ; car il est d’étiquette de conserves à Moliere la premiere place.