y Il n’y a donc rien dans ce passage qui favorise les comédiens : au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s’élevait des âmes cachées, d’un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens dont le nombre était alors si grand dans l’empire, mais un homme qui gagnait sa vie à jouer d’un instrument innocent : qui encore se trouva si humble qu’il se croyait le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avait passé « à cet état honteux : fœdum artificium » : comme il l’appelait : non qu’il y eût rien de vicieux, mais parce que la flûte était parmi les anciens, un des instruments les plus méprisés ; à quoi il faut ajouter, qu’il quitta ce vil exercice aussitôt qu’il eut reçu les instructions de Saint Paphnuce ; et c’est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu’on prétend tirer de Saint Thomas à l’avantage de la comédie.
Ils le furent encore par le renversement total d’un Empire florissant, immense, riche, peuplé, qu’ils croyoient éternel & divin, par la destruction de tous leurs temples & de leurs idoles qu’ils croyoient toutes puissantes, par l’extinction d’une famille royale, ou plutôt divine, les enfans du soleil adorés depuis plusieurs siecles, par le saccagement de leurs villes, la dévastation des campagnes, le massacre de vingt millions d’hommes frappés de la foudre, qui ne se sentent plus. […] Il n’y avoit dans l’Empire que le théatre de la Cour, où il n’assistoit que la Famille Royale & les personnes les plus distinguées. […] C’étoit la défaite, la mort & les funerailles de leur dernier Roi Atalipa, où tout le monde versoit des larmes en abondance sur le renversement de l’Empire du Soleil. […] Mango-Capac & sa sœur, comme Cérés, Bacchus, Tryptoleme, &c. firent du bien aux hommes sauvages de leur temps, & leur apprirent l’agriculture & les arts de premiere nécessité, les rassemblant en peuplades, bâtissant une Ville comme Romulus, qui a été la capitale de son Empire. […] Sous le nom de Prêtresses du soleil il fonda une infinité de Couvens dans l’Empire où l’on tenoit enfermées toutes les belles filles plus étroitement que les Carmelites, soumises au célibat forcé, ainsi que leurs servantes, avec tant de rigueur, que si quelqu’une venoit à s’oublier, non-seulement elle étoit enterrée toute vive comme les vestales à Rome, & son galant pendu, mais encore leur famille étoit bannie & leur Ville détruite de fond en comble.
N’osant toucher à la loi qui établissait l’infamie, ce qui aurait révolté tout l’Empire, il déclara qu’il fallait distinguer ceux qui jouent quelque rôle pour leur plaisir, et ceux qui font le métier de Comédien par intérêt ; que ceux-ci sont couverts d’infamie, et les autres en sont exempts : loi fort inutile, et au public à qui cette distinction ne fut jamais inconnue, et à lui-même que toutes les lois du monde ne pouvaient jamais garantir du souverain mépris que sa conduite inspirait pour lui à tous les honnêtes gens, dont même il réveillait l’attention et aiguisait la censure par des précautions si frivoles. […] Néron, élève de Burrus et de Sénèque, fut d’abord un Prince accompli, pendant les cinq premières années de son règne, les délices et l’admiration de tout l’Empire ; le Sénat lui fit une députation solennelle pour le féliciter et le remercier de la sagesse de son administration. […] « Un Comédien noble, dit-il, n’est plus un prodige ; le plus noble de l’Empire, l’Empereur est Comédien » : « Res haud inira tamen, citharædo Principe, Mimus nobilis. » Après cette plaisanterie il se livre à son indignation, et regarde comme la tache la plus honteuse de la vie de Néron d’avoir paru sur la scène.
Les représentations Théâtrales n’ont été inventées que longtems après la fondation des Empires. […] Le vainqueur, en s’emparant de l’Empire des Grecs, ne s’apperçut pas qu’il étoit trop sensible aux charmes de leur esprit, qu’il enchaînoit pour ainsi dire le sien, le réduisoit au moins, à l’inaction, & par-là préparoit le plus noble triomphe au vaincu.