C’est à la place des Bandits, qu’on tâche de détruire, que le Gouverneur veut établir des comédiens ; c’est opposer Bandits à Bandits. […] Qui auroit cru que cette magnifique salle deviendroit la salle de la comédie, & seroit détruire pour y placer le théatre ? Après avoir détruit les bonnes mœurs, le Regne exterminateur de Thalie épargneroit-il des statues & des bas reliefs ?
Tous les Couvents de filles sont cloîtrés ; les Communautés qui ne sont pas cloîtrées, ne font que des vœux simples pour un temps, ce qui détruit toute l’intrigue. 3.° On fait venir un Directeur extraordinaire, qu’on place au milieu de l’Eglise avec deux chaises, comme dans une chambre, & une conversation ordinaire. […] Il veut l’en retirer ; mais elle le repousse avec indignation, prétendant que Dieu qu’il y détruit la substance mortelle, qu’elle y attend la mort, &c. […] Ces petitesses, ces contradictions, ces impiétés font de cette conversion un désespoir qui en détruit le mérite & la réalité.
J’avoue donc avec sincérité que je sens dans toute son étendue le grand bien que produirait la suppression entière du Théâtre ; et je conviens sans peine de tout ce que tant de personnes graves et d’un génie supérieur ont écrit sur cette matière : mais, comme il ne m’appartient pas de prendre le même ton, et que d’ailleurs les Spectacles sont permis et soutenus par l’autorité publique, qui sans doute les permet et les soutient par des raisons que je dois respecter, il serait indécent et inutile de les combattre dans l’idée de les détruire : j’ai donc tourné mes vues d’un autre côté ; j’ai cru que du moins il était de mon devoir de produire mes réflexions, et le plan de réformation que j’ai conçu pour mettre le Théâtre sur un autre pied, et pour le rendre, s’il est possible, tel que les bonnes mœurs et les égards de la société me paraissent l’exiger : c’est ce que je ne pouvais entreprendre dans le temps que j’étais Comédien, pour les raisons que l’on trouvera dans le corps de mon Ouvrage.
Pour établir de nouvelles Loix, ou pour remettre en vigueur les anciennes, il faut toute la fermeté et toute la puissance du Gouvernement ; mais la réformation du Théâtre ne demande pas le moindre effort : une simple Ordonnance suffirait, non seulement pour le réformer, mais même pour le détruire ; et cela sans qu’il y eût à craindre le moindre scandale, ni la moindre opposition.