Aussi Salvien, auteur du cinquieme Siécle, (Salvien de Marseilles, qu’on nommoit le pere des Evêques) assure-t-il, que de son tems, personne n’étoit reçu au Baptême, s’il ne renonçoit auparavant aux spectacles, comme aux pompes du Démon. […] Elles sont tirées ces raisons, de la nature des spectacles, qu’ils mettent constamment au nombre des Pompes du Démon ; du vice intrinséque des piéces qu’on y représente, de leurs sujets, de la morale qu’on y enseigne, de l’émotion des passions, des illusions de l’imagination, des impressions mauvaises. […] « C’est là, dit-il où le Démon forge les traits de feu, qui enflamment la convoitise, où la mort entre par les Sens. […] C’est ainsi qu’on pensé, & pensent encore Messieurs les Archevêques & Evêques de Paris, de Lion, de Beauvais, de Carcassonne, de Senez, d’Alais, de Limoges, de Marseille, de Dol, & plusieurs autres, qui, depuis 1756, ont écrit contre la Comédie, & l’ont regardée, avec feû M. le Cardinal de Laon, M. de Rochechouart, comme une mission établie en faveur du Démon, pour lui attirer des esclaves. […] Charle Borromée, dans son second Concile de Milan ; employer pour cette effet, toute l’autorité de leur Ministére, leur représentant avec un zéle plein de force, combien les Comédies, qui sont la source de tous les maux & de toute espéce de crime, sont conformes aux déréglemens du paganisme, & une pure invention du Démon, pour perdre les ames.
Tertullien rapporte l’histoire d’une Fille Chrétienne, qui fut possédée du Démon, pour avoir une seule fois assisté à la comédie, et comme on l’exorcisait, et qu’on demandait au Démon, qui l’avait fait si hardi que d’entrer dans cette jeune Fille, qui appartenait à Jesus-Christ par son Baptême ? […] En effet, c’est là où le Démon règne avec empire ; c’est là qu’il corrompt les âmes les plus pures par des idées dangereuses, par des gestes dissolus, par des postures lascives, et par des paroles indécentes et malhonnêtes dont on fait gloire ; si bien que c’est un dangereux écueil pour la pureté des Filles, qui le doivent éviter avec soin, si elles ont de l’amour pour Dieu et pour leur salut. […] elle leur fait voir ce que Dieu et les Anges y voient, elle leur découvre un massacre horrible d’âmes qui s’entretuent les unes les autres ; elle leur montre des femmes en qui le Démon habite, qui font à de misérables hommes mille plaies mortelles ; elle leur fait voir un air contagieux, qui se répand par tous les sens, et un poison subtil qui se glisse dans tous les cœurs ; enfin elle leur fait paraître une infinité d’esprits malins, qui se moquent de ces malheureux, et qui se raillent de leurs illusions et de leurs aveuglements.
Cependant on peut dire, pour justifier cette indulgence, que l’Eglise regarde de plus près aux qualités des Ministres qu’elle admet, que des Ministres déjà reçus, qu’un refus ne fait pas autant de tort qu’un châtiment, que la privation de tout privilège clérical est une plus grande punition que la simple exclusion, qu’on exclut pour de simples défauts de corps ou d’esprit, qui ne sont point de péchés, et que des bouffons, tels qu’ils étaient dans ce siècle, qui amusaient les passants dans les rues, étaient moins pernicieux et moins coupables que des Comédiens et Comédiennes de profession qui passent toute leur vie à exciter par toute sorte d’artifices les passions les plus criminelles : métier si opposé au christianisme, que d’autres canons appellent cette espèce d’hommes des apostats et des démons. […] Faut-il être surpris si un Comédien, quoiqu’il ait quitté ce métier infâme, traité comme un énergumène qui serait délivré du Démon, ne peut encore recevoir les ordres, sans dispense ? […] On se contenta dans la suite d’un renoncement général au démon, à la chair et au monde, et à ses pompes, qu’on y fait faire encore aujourd’hui, parce qu’on regarde avec raison ce renoncement comme une abjuration bien précise du spectacle. […] C’est moins le théâtre d’une pièce dramatique que le théâtre des plus dangereuses pompes du monde, des plus redoutables tentations du démon, des plus grandes faiblesses de la chair.
Jésus-Christ même a toléré Judas, c’est-à-dire un démon, un voleur, un traître, par qui il savait qu’il devait être vendu ; il le laissa participer avec la troupe innocente des Apôtres à ce prix de notre Rédemption qui est connu des Fidèles ? […] » Que les Prédicateurs et les Théologiens, frappés de ces exemples, ne cessent point de crier contre les Spectacles, tandis que l’Eglise lance ses foudres contre les Comédiens ; qu’ils représentent le Théâtre, comme l’école de l’impureté, la nourriture des passions, l’assemblage des ruses du démon pour les réveiller, où les yeux sont environnés d’objets séducteurs, les oreilles ouvertes à des discours souvent obscènes et toujours profanes, qui infectent le cœur et l’esprit.