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92. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-huitieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre V. Procès des Comédiens. » pp. 169-224

On eût trouvé mauvais qu’un acteur comique eût fait les fonctions de magistrat, chargé de veiller sur les mœurs, & de punir les crimes. […] Des crimes furent les ressorts de leur grandeur, & le luxe seul en soutient l’idée, le plus souvent aux dépens des créanciers ; c’est-à-dire, par de nouveaux crimes. […] Mais est-ce un crime de n’avoir point semé ces bouffonneries de Tabarin dont Moliere amusoit le peuple ? […] Le tissu de crimes n’est pas ce qui l’a fait proscrire par la chaste troupe des actrices, fort initiées dans de pareils mysteres. […] On me fait un crime d’avoir donné dans ma comédie le nom de philosophe à un personnage à rouer.

93. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre IV. Du Législateur de Sans–souci. » pp. 93-109

Elle approuve donc le crime ? […] Est-il bien difficile, & n’est-il pas ordinaire de faire des promesses de mariage à une fille pour la séduire, & à une fille rusée de s’en faire faire pour attraper un mari, & de les accomplir par le crime ? […] Parmi ces empêchemens, il en est de droit divin comme le premier degré de parenté ; il en est de droit naturel, comme l’erreur, la violence ; de l’objet & de la nature du mariage, comme l’impuissance ; de droit ecclésiastique, comme le crime, la difference de religion ; de pure discipline, comme le temps prohibé de l’Avent & du Carême, (que ce Prince a abrégé de son autorité), la publication des bans ; il en est qui sont secrets, tels que l’adultere avec la promesse du mariage, l’homicide pour se remarier ; qu’on n’ira certainement pas confesser au Secretaire d’Etat du Roi de Prusse, au risque de se faire pendre, &c. […] Les Protestans ont toujours fait aux Catholiques un crime de ce qu’on faisoit payer les dispenses à Rome dans les cas les plus importans qui lui sont réservés, & dans chaque Diocese pour les menues dépenses qu’accordent les Evêques ; ils en ont fait le tarif à leur maniere, ils l’appellent la Boutique du Pape, & voici un Prince Protestant, grand Philosophe, un Salomon, qui fait du paiement des dispenses une loi genérale, en fixe le tarif, & se les attribue toutes à lui seul : Qui dicis non furandum furaris . […] L’inimitié irréconciliable, les mauvais traitemens, le mal venerien, la fureur, la démence, tout crime qui mérite une punition corporelle ou infamante.

94. (1778) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre vingtieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre VI. Machiavel. » pp. 198-214

Machiavel, nommé secrétaire & historiographe de Florence, en composa l’histoire, bien écrite, mais qui n’est qu’une tragédie perpétuelle, un tissu de factions, de conjurations, d’assassinats, de crimes de toutes especes. […] Borgia étoit un scélérat pour qui il n’y avoit rien de sacré ; quoiqu’il fût sous-diacre, & qu’il eût été archevêque de Valence & cardinal, il avoit rempli l’Italie de mille crimes pour se faire un état. L’auteur entasse crime sur crime, pour donner un plus rude contre-coup aux Médicis, sous le nom de Borgia & le voile d’un éloge. […] On fait beaucoup valoir quelques sentences jettées au hasard dans un rôle, démenties un moment après, étouffées sous un tas d’erreurs & de crimes, qu’on parera fierement de grands mots.

95. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE VII. De l’idolâtrie du Théâtre. » pp. 143-158

» Les chansons, les jeux, les récits, les représentations de leurs combats, de leurs métamorphoses, de leurs crimes ; voilà leurs solennités. […] Ils sont Prêtres des mêmes Dieux ; même culte, mêmes objets, mêmes fêtes, mêmes crimes ; Vénus, Adonis, Jupiter, Endymion, etc., ne règnent pas moins sur le théâtre. […] C’était la théologie du temps : la corruption des mœurs, qui en était, comme aujourd’hui, le fruit nécessaire, n’était pas regardée avec les mêmes yeux que par les Chrétiens ; il s’en fallait bien que chez eux les regards, les désirs, les paroles, les pensées fussent des crimes, comme ils le sont sous l’Evangile. […] Je ne parle pas de l’esprit faux et frivole qu’inspire et qu’entretient l’étude continuelle des fables et des chimères, du mauvais goût que donne le tissu de folies et de crimes dont on se repaît comme de quelque chose de bien merveilleux, des entraves qu’il met au génie, en persuadant que tout le beau, le sublime, l’agréable est renfermé dans ce petit nombre d’objets sans cesse répétés et ressassés, qui n’ont plus que de la fadeur. […] Ses crimes sont montés jusqu’au ciel ; qu’elle soit aussi profondément confondue qu’elle s’est impérieusement élevée ; que ses tourments répondent à ses délices, sa misère à son opulence, ses larmes à sa joie profane, son désespoir à sa présomption : « Quantum in deliciis fuit, tantum date illi tormenta. » Tous les peuples, saisis d’étonnement, s’écrieront : Malheur, malheur à vous, infâme prostituée, si fière de vos attraits, de vos talents, de vos parures, de votre gloire, de votre volupté ; dans un moment vous ne serez plus.

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