Voici l’histoire, le vrai crime de Don Carlos fut l’hérésie & la révolte : impatient de monter sur le trône, il ambitionnoit la souveraineté des Pays-Bas, alors en guerre avec Philippe ; Les Députés pour faire diversion l’avoient demandé au nom de leur pays, avoient promis de le reconnoître ; il s’éloignoit d’un père & d’un Roi, à son gré trop sévère qui s’opposoit à ses passions. […] Ce jeune Prince sans religion qui malgré sa mère & son frère, sacrifioit tout à son ambition, sortit du royaume, se fit recevoir en Souverain dans les Pays-Bas, fut sur le point d’épouser Elisabeth ; mais bientôt après perdit ses États ; sa femme son honneur & sa vie ; ce double crime étoit impardonnable aux yeux de Philippe, jaloux de son autorité, & zélé pour la Religion qui risquoit de perdre une partie de ses États, & de la rendre Calviniste, père & Roi plus zélé, plus ferme, plus puissant que Henri III. […] Le Parlement l’avoit souvent prié de choisir un époux, mais c’étoit une franche coquette qui vouloit jouir de sa liberté, & vivre dans le libertinage d’un célibat volontaire, en évitant l’éclat du crime, & conserver les honneurs de la virginité. […] Mais être Protestant étoit un mérite, & avoir conspiré contre Marie n’étoit pas un crime aux yeux d’une femme qui s’en étoit deux fois rendue coupable. […] L’arrêt qui condamna cette Reine infortunée à la mort, prit pour prétexte une prétendue conspiration contre l’Etat qui ne fut jamais ; mais sa prison n’eut pas même de prétexte ; on dit d’abord qu’il falloit punir les crimes que Marie avoit commis en Ecosse, mais on ne le dit pas deux fois : ces crimes vrais ou faux n’avoient pas été commis sur les terres d’Elisabeth, ne la regardoient pas, & Marie n’étoit pas sa sujette, elle étoit même Souveraine, & n’avoit à rendre compte qu’à Dieu de ses actions.
Quel crime n’est-ce donc pas d’embellir ces vices cruels qui portent par tout le fer & le feu, qui vont jusqu’à faire répandre le sang de ses concitoyens, & souvent celui de ses proches ? Quel crime n’est ce pas de changer en vertu, ce qui produit depuis si longtems une fureur brutale dans la Noblesse françoise ?
On s’accoutume facilement aux crimes dont on entend souvent parler. […] Mais ceux qui se souillent eux-mêmes, et qui étant avertis de se purifier des taches qu’ils ont contractées avant que d’entrer dans l’Eglise, se conduisent avec impudence, ils aigrissent l’ulcère de leur âme, et rendent leur mal plus grand ; car il y a bien moins de mal à pécher, que d’ajouter l’impudence au crime qu’on a commis, et de ne vouloir pas obéir aux ordres des Prêtres. […] Je ne vous déclarerai pas leur crime par mes discours ; mais par les propres paroles de celui qui doit juger toutes les actions des hommes : Celui, dit-il, qui verra une femme avec un mauvais désir, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » Si une femme négligemment parée, qui passe par hasard dans la place publique, blesse souvent par la seule vue de son visage celui qui la regarde avec trop de curiosité ; ceux qui vont aux Spectacles non par hasard, mais de propos délibéré, et avec tant d’ardeur, qu’ils abandonnent l’Eglise par un mépris insupportable pour y aller ; ceux qui regardent ces femmes infâmes, auront-ils l’impudence de dire qu’ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque les paroles, les voix, les chants impudiques et tendres les portent à la volupté ? […] Comment donc êtes-vous innocent, puisque vous êtes coupable du crime des autres ?
Le Prêtre convaincu d’un crime est puni comme un autre homme, & les priviléges de l’Eglise doivent être anéantis au Théâtre comme ailleurs, par la raison, maintenant connue, qu’un privilége est une chose absurde. […] Vous ne pensez pas du moins qu’un crime exécuté en 1572 puisse flétrir la Nation Françoise en 1789. […] En supposant que le Massacre de la Saint-Barthélemi soit le crime de la Nation ; les François de ce temps-là sont flétris, mais non ceux d’aujourd’hui, qui n’étoient pas nés encore. […] Le Massacre de la Saint-Barthélemi n’est point le crime de la Nation ; c’est le crime d’un de vos Rois, & il ne faut point confondre vos Rois avec la Patrie, malgré les maximes d’esclave qu’on vous débite à vos Théâtres, dans vos prétendues Pièces nationales. C’est le crime de Charles IX, de sa mère, du Duc de Guise, du Cardinal de Lorraine ; c’est le crime de la Cour ; c’est le crime du Gouvernement ; comme la révocation de l’Edit de Nantes, les Massacres des Cévennes, & pour ne pas faire une énumération trop longue, comme tous les malheurs qui ont affligé, durant quatorze siècles, cette grande & superbe Nation, écrasée de règne en règne, & de Ministre en Ministre ; mais qui est fatiguée de la servitude, & qui sent enfin sa dignité.