L’Auteur de l’Ouvrage que je publie, plus sévère que Riccoboni, voit le Théâtre des mêmes yeux que le célèbre & vertueux Citoyen de Genève : mais loin de chercher, comme J. […] Proposer de la regarder comme nulle, & de favoriser les Représentations Dramatiques, sans reformer le Théâtre, ce serait montrer qu’on est peu scrupuleux sur les obligations du Citoyen & de l’honnête-homme : le mépris de la Religion entraînerait celui des mœurs, de la subordination, de la pieté filiale & paternelle, du civisme, de tous nos devoirs.
Et, comme la ressemblance y étoit ménagée, de maniere qu’on pût aisément y reconnoître ceux que l’on jouoit, il fallut une nouvelle loi pour défendre de faire la satyre personnelle des Citoyens. […] La Comédie Romaine se divisoit aussi en deux especes ; la Comédie Grecque ou palliata, & la Comédie Romaine ou togata ; parce qu’on s’y servoit de l’habit de simple Citoyen. […] Les Acteurs des Atellanes étant des Citoyens, en conservoient tous les droits14 : ils servoient dans les légions, n’étoient pas exclus de leurs tribus, & jouissoient enfin de tous les privileges de Citoyens ; au lieu que les Comédiens mercenaires étoient réputés infames, parce qu’ils étoient nés dans l’esclavage, & qu’ils étoient payés pour divertir le Peuple. […] Voilà les deux genres de Citoyens qui préparerent & avancerent la ruine de ce vaste Empire qui embrassoit tant de Nations & tant de Royaumes ». […] Nous aurons lieu de donner vers la fin de ce volume une note qui prouve que la Ville de Marseille a encore des Citoyens qui se font honneur de cette pureté de mœurs de leurs ancêtres.
14) être citoyen sans être fidéle, en France où la seule Religion Catholique est soufferte ; & si vous permettez à l’Eglise, sans le concours des Magistrats, d’excommunier publiquement le fidéle, les effets de cette sorte d’Excommunication influent nécessairement sur le citoyen : par conséquent vous faites dépendre l’Etat des volontés de l’Eglise. Cette dependance, si on peut la nommer ainsi, ne fait que resulter du consentement des puissances temporelles qui trouvent bon que les qualités de fidéle & de citoyen se réunissent ; elle ne subsiste qu’autant de tems il plaira au Monarque d’interdire toute autre religion dans le Royaume, il est toujours le maître d’accorder la liberté de conscience, sans que l’Eglise ait aucun droit de s’y opposer.
Ramire se prévaut ici de l’approbation même qu’il réfute ; le Docteur qui l’a donnée, y fait des vœux pour obtenir aux Auteurs, aux Acteurs, & aux Spectateurs une retenuë & une décence, qui empêche d’interdire dans le Christianisme une recréation si indifférente, selon lui, aux Fidèles, si nécessaire aux Citoyens, & si instructive pour tout le monde. […] Après avoir fait éclater son zèle en Orateur Chrétien, notre Auteur reprend le ton d’un profond moraliste, & examine encore de plus près la nature de la Comédie : il recueille sur cette matière les définitions des Docteurs les moins accusés de rigorisme, & il en conclut que, si on ouvroit une école, dont l’affiche annonçât les leçons qu’on donne & qu’on prend au théâtre, tous les Magistrats, & tous les Citoyens jaloux des mœurs publiques, s’uniroient pour la fermer, & pour en proscrire les maîtres pernicieux.