Cessons de placer au rang des grands Hommes les Corneille, les Racine, les Molière, les Voltaire, ou diffamons-les, puisqu’ils sont de nos jours l’ornement, l’ame de nos Théâtres. […] Ciceron avoue que c’est à Claudius Esope (Acteur célèbre des Romains) qu’il est redevable de l’Art de la déclamation qu’il possédait au premier degré : aussi le consultait-il sans cesse. […] Le Spectateur sent une sainte joie à ce dénouement qui succède aux larmes que les Martyrs lui ont arrachées ; il sort pénétré ; il l’oublie le lendemain, le moment même : est-ce la faute de l’Acteur si le vice se renouvelle sans cesse dans le cœur des humains ? […] Le pauvre bon homme me divertit de le voir vaciller sans cesse. […] Tite Live dit que les Jeux scéniques furent introduits à Rome l’an 390, à l’occasion d’une peste qu’il s’agissait de faire cesser.
On cessa de venir s’instruire & s’amuser à ces Spectacles, où quelques Citoyens préservés de la contagion générale & fermes partisans du Goût, ne cesserent d’aller applaudir aux chef-d’œuvres immortels des Corneille, des Racine, des Crébillon & des Voltaire. […] C’est de ces lieux sinistres qu’il s’exhale sans cesse un air pestilentiel : Dont la seule vapeur fait perdre la raison. […] Or, cette avidité pour les plaisirs, sans cesse renaissance dans les jeunes-gens, & plus souvent trompée que satisfaite, les rend tout à-la-fois bourreaux de leurs tems & de leurs sens. […] De même qu’une lampe s’éteint lorsqu’on cesse d’y mettre de l’huile ; de même l’esprit & le talent se rouillent & se perdent lorsqu’on manque de les exercer. […] On arrête tous les jours, au sortir des Trétaux, de fort mauvais sujets, dont on ne pourrait jamais s’emparer, si ces mêmes Spectacles cessaient d’avoir lieu.
Les philosophes ne prêchent que la tolérance, & déclament sans cesse contre la persécution, afin d’être libres à répandre leur doctrine. […] On se souvient d’un autre sonnet qui mérite d’être conservé, par la vérité qu’il présente & le ridicule sur le suïcide, si commun au théatre & dans le pastoral, où sans cesse on veut se tuer, on ne peut pas survivre à son amant, à sa maitresse ; on va se jetter dans l’eau, se donner un coup d’épée, &c. qui heureusement ne passe ne passe pas le bout des levres.
Tant que Titus balancera entre l’amour du devoir & l’amour de Berenice, nous entrerons dans ses peines, son attachement à la vertu qui le fait résister à la force de sa passion, le rendant digne de notre estime ; nous le plaindrons d’autant plus qu’il fera plus d’efforts, & que par conséquent il souffrira davantage : mais dès l’instant qu’il succombera, nous cesserons de le plaindre, puisqu’il n’aura plus besoin de notre pitié ; si nous avions même prévû qu’il dût ceder, nous avions même prévû qu’il dût ceder, nous nous serions épargné une compassion inutile ; & comme nous sommes persuadés que cette passion de préférence pour un seul objet, n’est pas un penchant absolument insurmontable à la vertu, nous n’aurions pas sûrement regardé comme estimable un homme qui n’a pas la force d’y résister. […] Il l’aimoit avant de parvenir à l’Empire : nous ne demandons pas qu’il cesse d’être tendre ; qu’il se contente de ne pas contracter un hymen qui choque le préjugé Romain ; & si Berenice est digne de lui, elle sera la premiere à lui conseiller de conserver l’Empire. […] Cette prétention monstrueuse, qui prend sa source dans l’humeur, pénetre aisément toute l’ame, si la raison n’oppose une digue à la rapidité du torrent, & ne nous ramene à des sentimens plus doux : on devient cruel & vicieux en prêchant sans cesse la vertu & l’humanité : on substitue le chagrin, la colere, les passions les plus incommodes à la société, à la place de l’honneur & de la probité qu’on a sans cesse dans la bouche, & dont on a défiguré les idées dans une imagination déréglée, & l’on finit comme Alceste par chercher sur la terre un endroit écarté, où d’être homme d’honneur on ait la liberté ; c’est-à-dire, homme d’honneur à sa maniere, en vivant seul. […] J’entens sans cesse célebrer la sagesse & la pureté des loix & des mœurs de Sparte ; qu’offre donc de si admirable ce Peuple qu’on propose comme le sublime modele de la plus parfaite législation ?