Les Personnages ordinaires des Parades d’aujourd’hui, sont le bon-homme Cassandre, Père, Tuteur, ou Amant suranné d’Isabelle ; le vrai caractère de la charmante Isabelle, est d’être également faible, fausse & précieuse (une vraie Servante de Cabaret) : celui du beau Léandre son Amant, est d’allier le ton grivois d’un Soldat, à la fatuité d’un petit-maître manqué : un Pierrot, quelquefois un Arlequin, & un Moucheur de chandelle, achèvent de remplir tous les Rôles de la Parade, dont le vrai ton est toujours le plus bas-comique. […] La Comédie ayant enfin reçu des loix de la décence & du goût, la Parade cependant ne fut point absolument anéantie : elle ne pouvait l’être, parce qu’elle porte un caractère de vérité, & qu’elle peint vivement les mœurs du Peuple qui s’en amuse : elle fut seulement abandonnée à la populace, & reléguée dans les Foires, & sur le Théâtre des Charlatans, qui jouent souvent des Scènes bouffones, pour attirer un plus grand nombre d’acheteurs. […] On peut s’étonner que le véritable caractère de la Comédie ait été si long temps inconnu parmi nous ; les Grecs & les Latins nous ont laissé des modèles, & dans tous les âges, les Auteurs ont eu la Nature sous les yeux : par quelle espèce de barbarie ne l’ont-ils si long temps imitée que dans ce qu’elle a de plus abject & de plus desagréable ?
Considérons-les comme personnages ; nous analiserons ensuite leurs caractères. […] Leurs caractères ne sont pas mieux soutenus. […] Il y a donc une disparate sensible dans le caractère de Fatime. […] Voyons si le caractère du Soudan est mieux soutenu. […] Assurément cette mort est trop mal préparée pour avoir le caractère de la vraisemblance.
Quoiqu’il outre les caractères à dessein pour faire rire le parterre, que ses caractères soient la plûpart des caractères d’imagination, que son Mysantrope ne soit pas un vrai mysantrope, mais un homme de mauvaise humeur, son Tartuffe ne soit pas précisément un hypocrite, mais un scélérat qui se couvre d’un masque de dévotion, comme un voleur qui s’habille en Religieux n’est pas un mauvais Religieux, il est du moins vrai qu’il rend parfaitement les caractères qu’il a imaginés. […] Tous les rôles, les incidens, les discours, les saillies, le moindre trait, tout semble fait exprès pour représenter le caractère dominant. […] Le sublime ne-peut être ni dans le fond ni dans le caractère de ses pieces. […] Un trait fin, une répartie naturelle peignent le caractère d’un Acteur. […] Il fut toujours nécessaire pour une bonne comédie de caractère d’aller chercher au fond du cœur le tableau des mœurs & le jeu des passions ; l’impudence, quelque grande qu’on la suppose, ne donne qu’une idée vague, superficielle, & souvent équivoque de la corruption des hommes.
Cette petitesse qui n’a de force que par le préjugé, est cause que les Auteurs sont souvent fort embarrassés, & prive notre Théâtre comique de situations éxcellentes, de caractères nouveaux, saillans. […] La prémière Scène du glorieux annonce la fierté qu’on verra éclater dans le principal personnage, en peignant seulement son caractère. Ce n’est pourtant pas toujours la prémière Scène qui contient le germe des événemens qui vont succéder, & qui les donne à entendre par des faits antérieurs, ou en èxquissant des caractères ; le Poète à tout le prémier Acte : Orosmane n’annonce combien il est soupçonneux, & les éxcès où le portera la jalousie, que dans la dernière Scène du prémier Acte de Zaïre.