Lorsque je me récrie sur ses beautés & sur son mérite, il suffira de penser le contraire de ce que je dis, afin de pénétrer mes véritables sentimens. […] Tout ce qui s’écartera des règles, comme, par éxemple, le Spectacle moderne, ne peut causer qu’un plaisir passager, & ne plaît même que parce qu’on est séduit par des beautés de mode ou de fantaisie.
Leurs Tragédies charmeront pourtant toujours les Spectateurs, par la seule beauté de la diction & des pensées ; par l’intrigue prise dans le fond du sujet, & par les diverses passions, qu’elles éxcitent. […] Que le Poète ait encore soin que la beauté du Spectacle aille toujours en augmentant, en sorte que chaque Acte ait sa décoration particulière, & qui soit extrêmement opposée à celle qu’on a déjà vue ; qu’un horrible désert remplace, par éxemple, un jardin délicieux : c’est de cette variété que résultera un Poème lyrique accompli.
» Or la Comédie est le plus charmant de tous les Divertissements, Elle ne cherche qu’à plaire à ceux qui l’écoutent, Elle se sert de la douceur des Vers, de la beauté des expressions, de la richesse des figures, de la pompe du Théâtre, des habits, des gestes et de la voix des Acteurs ; Elle enchante tout à la fois les yeux et les oreilles : et pour enlever l’homme tout entier, Elle essaye de séduire son esprit après qu’elle a charmé tous ses sens. […] L’homme est entièrement perverti depuis le péché, les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, parce qu’ils sont plus conformes à son humeur ; quand on lui représente sur le Théâtre le Vice avec ses laideurs et la Vertu avec ses beautés, il a bien plus d’inclination pour celui-là que pour celle-ci : Et comme les Poètes ne sont pas exempts de ce désordre qui n’épargne aucune personne, ils expriment beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les injustes que les raisonnables, et les criminelles que les innocentes : Si bien que contre leur intention même ils favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et ils lui prêtent des armes pour combattre la Vertu qu’ils veulent défendre.
Nous sommes donc les seuls, après l’Italie, qui èxcellions dans la musique, puisqu’on la fait dépendre de la beauté d’une langue, ce qui peut être vrai pour le chant, & jamais pour la Symphonie. […] Son systême de la Basse-fondamentale est une découverte importante ; nos voisins mêmes l’ont applaudi : avec quelle surprise ont-ils dû voir un Compositeur Français èxceller, non - seulement dans son Art, mais y porter une lumière, & l’enrichir de beautés dont on ne l’aurait jamais cru susceptible ? […] S’ils ne les égalaient pas par la beauté du chant, on verrait au moins que la Langue Française est susceptible de mélodie. […] Cet homme estimable nous rend une justice que nous nous refusons souvent à nous-mêmes : il a donc trouvé que notre chant, presque toujours égal, avait des beautés, puisqu’il s’applique dans la plus-part de ses Ouvrages à saisir cette unité de Sons, cette mélodie si chantante, qui distingue tous les genres de notre musique. […] Ils sacrifient les èxpressions aux ports de voix, & la beauté même de la voix, que les accompagnemens doubles & triples étouffent à la vîtesse, à la légèreté de la main de celui qui accompagne ».