Ce qui rend la représentation d’une pièce de théâtre beaucoup plus dangereuse que la lecture, c’est que le lecteur n’est sensible qu’aux grâces du style, qu’à la beauté des pièces : au lieu que le spectateur est exposé à tous les charmes d’une déclamation animée, de ce langage muet, si éloquent, si persuasif, si séduisant, qui, par un geste, parle aux yeux et pénètre le cœur, donne de la vivacité aux passions, de la force aux discours, qui exprime dans toute leur énergie les mouvements de l’âme que le poète n’a fait que rendre faiblement ; qui fait illusion sur la fausseté des pensées et des maximes, qui fait applaudir au mensonge avec plus de chaleur qu’on applaudirait à la vérité. Qu’on joigne à tout cela la voix séduisante, les attitudes étudiées d’une actrice qui n’épargne rien pour séduire le cœur, et s’attirer le tribut d’éloges qu’on peut rendre aux grâces et à la beauté d’un sexe qui n’a pas besoin de tant d’art pour nous séduire.
Une jeune Beauté voit également, dans une glasse fidelle, ses attraits & ses défauts : elle sourit aux premiers ; une main adroite diminue & fait disparaître les seconds. […] Mais qu’une jeune Beauté, dont l’innocence n’est point un problème, parle le même langage, les plus libertins seront forcés d’y reconnaître, d’y respecter sa candeur & son ingénuité. […] Quelle mollesse dangereuse portait dans les âmes cette Actrice fameuse par sa beauté, son pathétique, & sa criminelle facilité ? […] La demoiselle Dumesnil va-t-elle aujourd’hui cousulter Corneille, pour exprimer si dignement les beautés de ce grand homme ? […] Ils font plus ; ils osent interdire à ces jeunes Beautés l’art innocent de la parure.
Une femme sans pudeur, malgré toute sa beauté, est par là-même très-dégoutante. […] Elle étoit entrée dans le plus grand détail de ses défauts, pour y remédier, elle ne peut épuiser le détail de sa beauté. […] Que le regne de la beauté est peu durable ! […] Quelle vicissitude de laideur & de beauté, de dégoût & d’éloge, de défaites & de conquêtes ! […] La blancheur, la délicatesse, le prix inestimable de la pureté, la vraie beauté de l’ame, est d’un ordre infiniment supérieur à la parure du corps.
On ne doit donc pas attaquer notre Tragédie, sur la Partie qui en fait une grande beauté, & qui consiste dans le Stile. […] La même Beauté doit se trouver dans la Poësie Italienne, puisque Dante assuroit que jamais la Rime ne lui avoit fait dire ce qu’il n’avoit pas voulu dire ; puisqu’on ne s’apperçoit jamais que la Rime empêche l’Aristote de dire ce qu’il veut, & puisque suivant Castelvetro & Martelli, il n’y a point chez les Italiens comme parmi nous de Poësie sans Rime. […] Après avoir passé beaucoup de tems de ma vie à lire des Poëtes, tems employé souvent avec ennui, tems quelquefois agréablement perdu, mais toujours perdu ; j’ai conservé une telle affection pour deux Poëtes, que je ne puis les relire, sans y trouver quelques beautés nouvelles. […] La femme qui mérite ce grand Sacrifice, est cependant une femme très-peu estimable, & l’on peut remarquer que dans les Tragédies de Corneille toutes ces femmes adorées par leurs Amans, sont par les qualités de leur ame, des femmes très-communes : ce n’est que par la beauté que Cleopatre captive César, & qu’Emilie a tout empire sur Cinna. […] De quelque côté qu’on l’examine, on n’y trouve que beautés admirables….