D’Alzan, tout-à-l’heure, on m’entretenait d’elle, de ses vertus, de sa douceur, de sa tendresse envers vous ; une femme qui la connaît comme vous-même, celle qui m’a révélé ce secret qu’il m’eût été moins cruel d’apprendre de votre bouche, une inconnue en un mot qui me fit promettre, avant de parler, de ne point chercher à la deviner, vient de m’assurer qu’elle est toute belle, cette épouse que vous aimez……… Oui, vous l’aimez ; je connais trop bien votre cœur pour en douter : il n’est point fait pour l’ingratitude, l’inhumanité, la perfidie ; vous aimez votre épouse bien plus que vous ne le croyez : vous l’aimez plus que moi, plus que vous ne vous aimez vous-même.
Au reste je proteste avec la même sincérité que, depuis la première année que j’ai monté sur le Théâtre, il y a déjà plus de cinquante ans, je l’ai toujours envisagé du mauvais côté, et que je n’ai jamais cessé de désirer l’occasion de pouvoir le quitter : ce ne fut qu’en l’année 1728, à l’âge de cinquante-trois ans, que voyant s’ouvrir une belle porte devant moi, j’exécutais la résolution d’y renoncer.
Quel mal y a-t-il à composer, à déclamer de beaux vers ? […] C’est à quoi conduisent les principes par-tout établis de cette morale lubrique, qu’il faut obéir à l’amour, que c’est le privilège du bel âge & tout le bonheur de la vie, que ses chaînes sont préférables à la liberté, ses loix à la raison, ses douceurs à la vertu. […] Il n’y a point de danger dans le monde, ou c’est là qu’il se trouve ; c’est là que son esprit se déploie avec plus d’éclat, ses maximes s’enseignent avec plus de succès, le luxe & la vanité sont inspirés avec plus d’artifice, les passions se montrent dans le plus beau jour, les plaisirs se goûtent avec plus de vivacité, la religion & la vertu sont le moins écoutées. […] Il caractérise la plus belle ame, l’esprit le mieux fait, le cœur le plus pieux, le plus charitable, que la pensée de l’éternité jette dans la plus profonde tristesse, au milieu des plaisirs les plus vifs & les plus séduisans, dans un âge & dans une fortune où avec les attraits les plus piquans ils assiegent l’ame la plus sensible, & la trouvent inébranlable.
Les François ne se firent pas prier, ils sont trop galans pour rien refuser aux Actrices, les Savans sur-tout se firent honneur de prôner une Reine savante ; c’est le plus beau fleuron de la couronne littéraire. […] On a beau habiller différemment les fadeurs, ce ne son que des échos qui répétent. […] Voltaire & ceux qui en font une Savante du premier ordre, ont oublié de remarquer que sa grande érudition étoit de savoir toutes les intrigues & les galanteries de la Cour ; les noms & les aventures des amans & des maîtresses, de les en railler à tout propos, d’apprécier, de comparer la beauté des femmes, la bonne mine des hommes ; elle ne paroissoit occupée d’autre chose, elle faisoit des minauderies continuelles auprès d’Anne d’Autriche qu’on disoit avoir la main belle pour lui faire ôter ses gans, toucher, louer, admirer ses mains, à crier au miracle. C’est , dit ingénieusement Madame de Motteville, une Héroine d’Amadis & de Roland ; c’est Marphise & Bradamante , elle étoit du moins en aussi mauvais équipage, sans domestiques, sans argent, sans vaisselle ; elle faisoit seule toute sa maison & toute sa Cour, il fallut que le Roi lui donna tout : le peu de temps qu’elle demeura à la Cour lui fut peu favorable ; ses défauts qui étoient grands furent d’abord couverts par les bonnes qualités & par le plaisir de la nouveauté, mais ces défauts percèrent bientôt, la surprise cessa, elle parut une personne très-commune, nous lui verrons bientôt perdre honteusement tous les avantages, c’est le sort des grands, ils sont plus exposés que les autres, leurs belles qualités sont au grand jour, ils sont d’abord reçus avec applaudissement ; leurs défauts aussi exposés, sont soustraits à la rigueur des loix & à l’autorité des Juges. […] Cette barbarie & la passion qui en furent le principe, ternirent sa philosophie , dit Voltaire, toutes ces belles qualités fussent-elles aussi réelles qu’elle sont fausses ou superficielles, sont dégradées par cette horreur ; elle eût été punie en Angleterre & par-tout ailleurs, la France ferma les yeux sur cet attentat contre l’autorité du Roi, le droit des nations & de l’humanité .