Là c’est une lettre envoyée dans une boëte, ici une lettre jetée avec une pierre par la fenêtre, une fille qui parle à la fois au jaloux & à l’amant, & par une équivoque fait entendre qu’il faut l’enlever, & sans que l’imbécille s’en apperçoive, l’embrasse dans le même temps qu’elle fait baiser la main au rival. Dans l’une c’est un ami, dans l’autre un frère, qui combattent le goût du jaloux ; dans toutes les deux une jeune fille qui s’enfuit de la maison pendant la nuit, & va se réfugier dans les bras de son amant. […] Elle n’agit pas moins en fille perdue, en fille de théatre : Le temps presse, il fait nuit ; allons sans crainte aucune, A la foi d’un amant commettre ma fortune. […] La fille s’enfuit toute seule, & se réfugie fort décemment dans la chambre de son amant, d’où elle répond avec lui par la fenêtre. […] Ici la fille s’enfuit avec son amant, qui fait le mort.
Ainsi donne-t-on des amants à Judith, à Suzanne, à la fille de Jephté, une maîtresse à Joseph, etc., et dans les pièces où il y a des crimes véritables, comme Dina, Samson, David, on fait parler les personnages de la manière la plus séduisante et la plus scandaleuse. […] David n’est plus un homme selon le cœur de Dieu, un grand Prophète, le père du Messie, dont un Homme Dieu daigne porter le nom ; c’est un amant de Bethzabée. […] C’est un personnage postiche d’un amant de Judith, jaloux et passionné, avec qui elle a les conversations les plus tendres, tandis que l’histoire nous apprend que depuis la mort de son mari elle avait vécu dans la plus profonde retraite et la plus austère pénitence. […] On lui suppose un vœu de chasteté, dont l’Ecriture ne parle pas, et qui n’était pas alors connu ; et malgré son vœu elle écoute et souffre à ses genoux son adorateur, qui l’appelle beauté immortelle, et fait toutes les folies des amants de théâtre : elle lui répond sur le même ton. […] Elle qui n’envisage que Dieu, qui se dit sous la protection des Anges, à qui Dieu même rend témoignage, que tout le monde regarde avec vénération, fait dépendre son honneur de la présence d’un amant qui ne ferait plutôt que la déshonorer.
En effet, une reine adultère, se procurant de jeunes gens par un proxénète de son sexe, se livrant la nuit à de scandaleuses orgies, et faisant chaque matin assassiner ses amants pour s’assurer de leur discrétion, n’eût offert qu’un tableau pâle. […] Marguerite, jeune fille, se prostitue à son page, elle devient mère ; son père la gêne, elle le fait égorger par son amant. […] Le public était déjà instruit que la reine avait des assommeurs, chargés de faire passer de ses bras dans la Seine les compagnons de ses orgies nocturnes ; il avait déjà entendu Marguerite dire à Philippe d’Aulnay son fils et l’un de ses amants : « Je viens avant que tu n’expires te donner le plaisir de connaître ta maîtresse et celle qui t’a donné la mort. […] Les deux grandes figures de ce drame sont Marguerite et Buridan, son premier amant.
Disons enfin que l’on voit et que l’on sent que cette fille est préparée à épouser le meurtrier de son Père, et que l’Amour qui triomphe de la Nature la va rendre coupable du crime que son Amant vient de commettre. Disons encore que si les filles sont assez sincères pour nous découvrir leurs sentiments, elles avoueront que l’amour de Chimène fait bien plus d’impression sur leur esprit que sa piété, qu’elles sont bien plus touchées de la perte qu’elle a faite de son Amant, que de celle qu’elle a faite de son Père, et qu’elles sont bien plus disposées à imiter son injustice qu’à la condamner.