En effet tous les hommes, dans quelqu’état qu’ils soient, à tout âge, de tout rangs et de tous caractères sont sujets à la passion d’amour : cette vérité reconnue fait que les Poètes se croient autorisés dans l’usage où ils sont de l’établir comme le fondement, et comme la seule passion qui doit régner sur la Scène ; les Spectateurs en conviennent, et voilà pourquoi elle y domine impérieusement, tant dans les intrigues que dans les caractères.
Malgré l’art & les soins de la toillette, la beauté est quelque chose de bien fragile, l’âge seul la devastera : formam populabitur ætas , & sillonnera votre visage par des rides : Et placitus rugis vultus aratus erit. […] Le plus habile coloriste, travaillât-il sur vos joues, comme sur une toile tende sur le chevalet, le coloris ne rendra jamais les vraies couleurs, que l’âge, l’artifice, l’infirmité, la volupté ont ternies ; & plus fragiles que celles d’un tableau, qui le conserve les années entieres, ces couleurs seront ternies dans un instant, & laisseront des tristes traces qui vous défigurent, & mettent au grand jour votre ancienne & votre nouvelle laideur. […] Il faudroit encore faire chaque jour, & même plusieurs fois par jour, la même opération, sans quoi le lundi revélera les mysteres du Dimanche, & le soir ceux du matin ; si on ne continue jusqu’au tombeau ce régime bien génant, que d’affreuses vérités va publier l’indiscrétion d’un âge qui s’avance à grands pas, & dont cette peinture précipite les rides & la pâleur. […] Ce principe de la morale naturelle a été connu de tous les âges, de tous les sexes, de tous les états, des poëtes même qui s’en sont joués par leurs obscénités.
Après le plus grand éloge de Vadé, Auteur Poissard, le plus bas & le plus licencieux des héros des Boulevards, couru par la populace, ose dire, avec aussi peu de goût que de décence : Ces aimables mortels, dont les noms adorés Sont aux faîtes des jeux à jamais consacrés ; Arbîtres délicats des plaisirs de l’autre âge, De la divine Orgie avoient admis l’usage. […] Il suffit pour connoître son délire de voir sa complaisance pour les actrices : son livre en est pétri ; leur âge, leurs talens, leurs graces, leurs faveurs remplissent toutes les pages. […] C’est l’âge d’or, la loi de la nature, l’être de l’homme ; de n’obéir qu’à Dieu. […] Ces deux âges se touchent ; cet Ecrivain immortel, universel, adoré de la nation , c’est-à-dire, d’une poignée de libertins qui sont les antousiastes de leur vieillard de quatre-vingt ans, parce qu’il prêche l’irreligion & le libertinage, qu’a-t-il fait de plus remarquable ?
Ils ont été effrayés de son renoncement au Théatre dans la fleur de son âge, de sa vie sérieuse & retirée depuis cette époque, de son application à ses devoirs domestiques, de sa tendresse bourgeoise pour sa femme & pour ses enfans ; de son insensibilité pour les succès, & pour ses propres Ouvrages qu’il avoit presque oubliés ; en un mot, du spectacle édifiant de sa philosophie chrétienne. […] Quel tort cela feroit-il à sa mémoire, après la vie édifiante qu’il a menée depuis l’âge de trente-huit ans jusqu’à la fin de ses jours ? […] Est-il extraordinaire que connoissant comme il faisoit, & mieux qu’homme de son tems, le vrai génie de la langue Françoise, ses beautés & ses délicatesses, il en ait revêtu sa Poésie, & que ses Acteurs de quelque âge, de quelque rang, de quelque sexe, de quelque nation qu’ils soient, parlent toujours le François le plus poli & le plus élégant ? […] Mais cet amour est innocent ; il est fondé sur la convenance, sur la proportion des âges & du rang, sur les droits communs au trône. […] Au surplus c’est dans cette Pièce si foible que sont ces quatre vers si beaux : La vie est peu de chose, & tôt ou tard qu’importe Qu’un traître me l’arrache, ou que l’âge l’emporte ?