il suffit à une mere d’avoir quelques sentimens pour arracher d’entre les mains de sa fille des Romans ou d’autre mauvais livres, pour lui interdire toute parole deshonnête, & l’empêcher de fixer ses regards sur des Tableaux indécens : & des meres qui se disent chrétiennes laisseroient aller, ou conduiroient elle mêmes leurs filles au Théâtre, où elles trouveroient les mêmes écueils, mais tout autrement dangéreux !
hier, il était derrière elle au Spectacle ; je les vis se parler à l’oreille ; la joie brillait dans leurs regards… Voilà donc ce qu’il cherchait au Théâtre !
Ceux qui étaient possédés de la passion du Théâtre reconnaissaient au moins qu'ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion chrétienne.
La comédie que j’entreprends de combattre aujourd’hui est de ce dernier genre, j’y joins le bal, ce sont des divertissements pernicieux dont il se faut absolument priver, pour cet effet je vous en ferai voir les désordres, et en même temps son opposition aux maximes de notre sainte religion, c’est ce que je traiterai dans mon premier Point, et dans le second je réfuterai les principales objections qu’ont coutume de faire pour la défense du théâtre et du bal, leurs partisans.
Ceux qui étaient possédés de la passion du théâtre, reconnaissaient au moins qu'ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion chrétienne.
L’utilité de la Comédie étant reconnue, ce seroit ici la place d’examiner quelle est la forme qui lui convient le mieux pour parvenir au but qu’elle se propose de corriger les mœurs ; si la Comédie grecque étoit plus proche de la perfection morale que la nôtre, en nommant les personnes vicieuses qu’elle exposoit à la satire publique ; enfin si l’exclusion des Actrices sur les Théâtres Grecs & Romains, n’étoit pas plus propre à laisser dans l’ame des Spectateurs des impressions de vertu dégagées de tout mêlange de volupté qu’on remporte presque nécessairement de nos Spectacles.
Il faudrait donc pour tirer de Saint Thomas quelque avantage, faire voir par ce saint docteur, que cette condition convienne aux bouffonneries poussées à l’extrémité dans nos théâtres, où l’on en est comme enivré : et prouver que quelque reste de gravité s’y conserve encore parmi ces excès.
Outre cela, tout le monde demeure d’accord, que ce dépit a cela de particulier et d’original par-dessus ceux qui ont paru jusqu’à présent sur le théâtre, qu’il naît et finit devant les Spectateurs, dans une même Scène, et tout cela aussi vraisemblablement, que faisaient tous ceux qu’on avait vus auparavant, où ces colères amoureuses naissent de quelque tromperie faite par un tiers, ou par le hasard, et la plupart du temps derrière le théâtre ; au lieu qu’ici elles naissent divinement à la vue des Spectateurs, de la délicatesse et de la force de la passion même ; ce qui mériterait de longs commentaires. […] La première est sur l’étrange disposition d’esprit touchant cette comédie, de certaines gens, qui supposant ou croyant de bonne foi qu’il ne s’y fait ni dit rien qui puisse en particulier faire aucun méchant effet – ce qui est le point de la question – la condamnent toutefois en général, à cause seulement qu’il y est parlé de la Religion, et que le Théâtre, disent-ils, n’est pas un lieu où il la faille enseigner. […] En effet, Monsieur – car ne croyez pas que j’avance ici des paradoxes – c’est elle qui les rend dignes d’elle ces lieux si indignes en eux-mêmes : elle fait, quand il lui plaît, un temple d’un palais, un sanctuaire d’un théâtre, et un séjour de bénédictions et de grâces d’un lieu de débauche et d’abomination. […] Je sais bien qu’on me répondra, que notre religion a des occasions affectées pour cet effet, et que la leur n’en avait point : mais outre qu’on ne saurait écouter la Vérité trop souvent et en trop de lieux, l’agréable manière de l’insinuer au théâtre est un avantage si grand par-dessus les lieux où elle paraît avec toute son austérité, qu’il n’y a pas lieu de douter, naturellement parlant, dans lequel des deux elle fait plus d’impression. […] Cela ne lui arriverait pas, si suivant les pas des premiers Comiques et des modernes qui l’ont précédé, il exerçait sur son théâtre un censure impudente, indiscrète et mal réglée, sans aucun soin des mœurs ; au lieu de négliger, comme il l’a fait en faveur de la Vertu et de la Vérité, toutes les lois de la coutume et de l’usage du beau monde, et d’attaquer ses plus chères maximes et ses franchises les plus privilégiées, jusque dans leurs derniers retranchements.
Depuis votre départ, il ne s’absente que le soir, pour aller au Spectacle ; presque tous les jours, il se rend au même Théâtre de fort bonne heure ; le desir de le voir m’y conduit quelque-fois sur ses pas ; monsieur de Longepierre, qui me croit passionnée pour la Comédie, quitte tout pour m’accompagner : je cherche des yeux monsieur d’Alzan dans la foule de l’Orquestre ; je l’ai bientôt démêlé : je le vois ; & le calme renaît dans mon cœur ; je me trouve presque contente.
Par lui-même, le Théâtre ne deshonore donc pas ?
Dans le premier, c’est une représentation où l’intrigue, le jeu de théâtre, les situations sont les parties qui forment l’ensemble d’une pièce, parties nécessaires à la vérité, mais qui n’en sont que l’accessoire, destinées à intéresser le Spectateur, mais qui renversent quelquefois le but principal de la Comédie, savoir, la réformation des mœurs.
Ce soin même que prennent les auteurs des pièces de théâtre, de couvrir leurs mensonges de l’apparence de vérité, afin qu’elles puissent être agréables rend témoignage à ce que j’avance, et prouve invinciblement que l’esprit de l’homme est créé pour la vérité ; mais cet attachement prodigieux à des fictions et à des chimères, fait voir d’autre part qu’il est devenu plus vain que la vanité, puisqu’il préfère l’image à la réalité, des mets en peinture à une viande solide, et qu’il consume misérablement ses forces et sa vigueur à poursuivre des fantômes, et courir après l’ombre de la grandeur. […] Un vrai Chrétien qui a reçu de Dieu ces yeux de la foi dont parle saint Paul, considère tout dans le véritable point de vue ; et dans cette heureuse situation tout ce qui est dans le monde lui paraît un bagage d’hôtellerie, une vaine décoration de théâtre où ceux qui ont joué les plus grands rôles vont être dépouillés de leurs ornements comiques. […] L’Eglise n’admettait anciennement personne à ce Sacrement qu’en exigeant de lui qu’il renoncerait aux spectacles du théâtre.
Le scandale, qui alors avait lieu dans les processions profanes et obscènes, ainsi que dans les églises et sur les théâtres où se donnaient ces comédies pieuses, mais accompagnées de farces licencieuses, était tout à fait nuisible à la religion. […] Je répéterai ici, qu’on a vu des papes et des cardinaux, instituer des théâtres, tant à Rome qu’en Italie, et en France : on a vu un abbé directeur de notre opéra, à Paris ; on a vu des capucins, des cordeliers, des augustins, demander l’aumône par placet, aux sociétés théâtrales, et la recevoir de nos comédiens bienfaisants : on a vu des religieux et des prêtres de l’église apostolique et romaine, prier Dieu pour la prospérité de la compagnie des comédiens. […] Les papes, les rois, les cardinaux, et tous les souverains de la chrétienté, qui ont institué des théâtres et des comédiens, pour le plaisir et l’instruction du public, ont-ils prétendu se damner, eux et leurs sujets, par la fréquentation à laquelle ils s’exposaient volontairement avec des excommuniés ?
Aussi l’habile Poëte, le Poëte qui sçait l’art de réussir, cherchant à plaire au Peuple & aux hommes vulgaires, se garde bien de leur offrir la sublime image d’un cœur maître de lui, qui n’écoute que la voix de la sagesse ; mais il charme les spectateurs par des caracteres toujours en contradiction, qui veulent & ne veulent pas, qui font retenir le Théâtre de cris & de gémissemens, qui nous forcent à les plaindre, lors même qu’ils font leur devoir, & à penser que c’est une triste chose que la vertu, puisqu’elle rend ses amis si misérables. […] Ainsi l’égalité, la force, la constance, l’amour de la justice, l’empire de la raison, deviennent insensiblement des qualités haïssables, des vices que l’on décrie ; les hommes se font honorer par tout ce qui les rend dignes de mépris ; & ce renversement des saines opinions est l’infaillible effet des leçons qu’on va prendre au Théâtre. […] J’en dis autant de la Comédie, du rire indécent qu’elle nous arrache, de l’habitude qu’on y prend de tourner tout en ridicule, même les objets les plus sérieux & les plus graves, & de l’effet presque inévitable par lequel elle change en bouffons & plaisans de Théâtre, les plus respectables des Citoyens. […] Enfin, de quelque sens qu’on envisage le Théâtre & ses imitations, on voit toujours, qu’animant & fomentant en nous les dispositions qu’il faudroit contenir & réprimer, il fait dominer ce qui devroit obéir ; loin de nous rendre meilleurs & plus heureux, il nous rend pires & plus malheureux encore, & nous fait payer aux dépens de nous-mêmes le soin qu’on y prend de nous plaire & de nous flatter.
Mais ce Pere sans s’émouvoir, disoit au contraire que l’esprit des loix étoit opposé aux Théâtres.
« On14 fait (dit-il) quelquefois dans les Eglises des jeux de Théâtre, où non seulement paraissent des personnes masquées et travesties (ce qui est monstrueux) mais les Ecclésiastiques même prennent part à ces folies.
Si j’avais fait ces Discours pour le public, j’aurais donné au premier une autre forme et pour le second, je ne sais si cette enchaînure des sentiments des Docteurs de l’Eglise, avec l’Histoire du Théâtre qui n’a pas déplu à nos Savants, pourrait plaire aux gens du monde, eux qui voudraient que les questions les plus difficiles fussent terminées en quatre mots.
On sort du Théâtre, rassuré contre l’horreur naturelle du crime ; & ce même plaisir y ramene souvent ceux qui l’ont une fois goûté. […] C’est un problême de Morale qui paroîtroit d’abord plus difficile à résoudre, si l’on n’en trouvoit le dénouement dans le caractere de la plûpart des hommes, & dans la nature des vertus, que l’on peint ordinairement sur le Théâtre. […] On est charmé de voir que l’ambition, que le desir de la vengeance, que les foiblesses de l’amour ne soient pas toujours incompatibles avec ces vertus, qui nous plaisent d’autant plus dans les héros du Théâtre, que nous les y trouvons souvent jointes à nos défauts. […] Nous le faisons encore plus, lorsqu’elle ne trouble point véritablement nos passions ; & comme c’est presque toujours avec cette précaution que le Poëte nous la montre sur le Théâtre, il n’est pas surprenant qu’elle nous fasse éprouver alors ces mouvements naturels d’estime & d’admiration, que des sentiments héroïques & des actions magnanimes font naître dans notre ame. […] Il les composa pour être representées dans la Maison de Saint-Cyr, depuis la résolution qu’il avoit prise de ne plus travailler pour le Théâtre.
Cette définition seule nous apprend combien on doit apporter de précaution pour mettre les maximes sur le théatre, leur but est d’instruire, & ce n’est pas celui du théâtre.
qui avait dansé à plusieurs Ballets, ayant vu jouer le Britannicus de Monsieur Racine, où la fureur de Néron à monter sur le Théâtre est si bien attaquée ; il ne dansa plus à aucun Ballet, non pas même au temps du Carnaval.
Sans cela l’homme le plus corrompu rentrerait encore en soi-même, et substituerait à la morale du Théâtre qui l’a perverti celle de l’Evangile qui le convertirait.
D’ailleurs on entend si souvent et si généralement vanter les théâtres, qu’il est bon et même nécessaire d’avoir à opposer à leurs apologistes des principes certains et des raisons péremptoires qui les confondent et qui les réduisent au silence.
Ces paroles ne frappent pas moins le théâtre que le monde qui en est l’image : c’est le monde avec tous ses charmes et toutes ses pompes qu’on représente dans les comédies.
le théâtre est une de ces pompes du diables ausquelles nous avons solemnellement renoncé dans notre Batême, & que c’est conséquemment une espéce d’apostasie que d’y assister : In spectaculis quadam apostasia fidei est. […] Et saint Thomas conclud qu’il n’y a aucun inconvénient pour la conscience, de représenter de pareils éxercices sur le théâtre ; parceque tout se termine à occuper agréablement l’esprit, sans faire aucune dangereuse impression sur le cœur. […] On a beau dire que le théâtre aujourd’hui est des plus corrects & des plus honnêtes. […] Cependant malgré toutes ces réformes, ce grand Patriarche de l’Eglise Grecque ne laissa pas que de crier encore contre ces jeux de théâtre, comme contre un scandale public, qu’il appelle des écoles de libertinage & d’adultére, non pas à la vérité pour les choses obscénes qu’on y représentât, puisqu’on les en avoit retranchées, mais parceque les comédiens de l’un & de l’autre sexe affectoient des gestes, des postures & des airs efféminés, capables d’amollir les cœurs les moins sensibles & les plus purs.
L’on a tant couru au Théâtre Italien qui s’enrichissait de jour en jour, des pertes que notre nation faisait en l’honnêteté des mœurs : Et l’on voulait que la raison de cet empressement, fût le plaisir d’y voir deux Comédies pour une, et deux sortes d’Acteurs et d’Actrices pour une seule action ; les véritables dans les loges, et les imaginaires sur le Théâtre ; la Comédie en son réel, et la Comédie en sa représentation.
Cela ne se fait point parmi nous, et ne sommes tant irrévérencieux b en notre Religion, que de profaner l’honneur de Dieu et des saints : mais en lieu, ès jeux et processions publiques, du moins en quelques-unes, on fait entre les Chrétiens jouer et marcher les Diables en la forme qu’on les peint, non pas enchaînés, encore cela serait tolérable, mais déchaînés, comme si c’était au plus fort du Paganisme, et qu’on voulût représenter des furies enragées dessus un Théâtre ou Spectacle public, non plus de Païens, mais des Chrétiens qui doivent être assurés que le Diable a la puissance bridée.
Car que faites-vous paraître sur le Théâtre pour être l’objet de la charité de votre.
On conçoit, ou plutôt on a vu jusqu’où cela a été, surtout dans la classe la plus nombreuse de la société, après que ce frein naturel, déjà privé de l’appui de la religion, a été rompu aussi : on a vu que les enfants ont manqué de soumission et de respect à leurs parents, non seulement pour cause d’avarice, mais encore sous prétexte d’autres défauts qu’ils leur trouvaient : on a vu la contagion des mauvais exemples seconder partout le théâtre qui a ainsi dénaturé la majeure partie des jeunes gens, lesquels ont vieilli et sont devenus pères à leur tour, après avoir laissé contre eux mêmes à la génération suivante l’exemple de mépriser et insulter ses parents, et ainsi jusqu’à nous : enfin tout le monde doit voir aujourd’hui qu’au lieu de ces avanies publiques que Cléante fait à son père, avanies qui éveillent ou délient et mettent à l’aise les passions naissantes des enfants, il eût été bien plus sage de faire entendre à Harpagon, à l’insu de son fils, ou sans éclat, sans peinture irritante, ces paroles persuasives que j’emprunte d’un académicien célèbre : « Vos enfants sont vertueux, sensibles, reconnaissants, nés pour être votre consolation ; en leur refusant tout, en vous défiant d’eux, en les faisant rougir du vice honteux qui vous domine, savez-vous ce que vous faites ? […] Cette sorte d’analyse, aussi impartiale qu’austère de ces leçons de théâtres les plus vantées, donne également la mesure des poisons coopérants, répandus dans beaucoup de comédies d’un ordre inférieur, surtout dans celles de Regnard. […] Je suis persuadé que son ouvrage, que je n’ai pas non plus l’intention d’ôter du rang auquel l’opinion la placé, sous le rapport littéraire, n’aurait pas été mis au théâtre, du moins sans un retranchement volontaire considérable, si quelqu’ami respectable, moins prévenu, ayant mieux profité des leçons du passé, l’eût éclairé en lui montrant dans plusieurs exemples les funestes conséquences qu’il aurait infailliblement, et en lui disant pour consoler son zèle : vous avez la très-louable intention d’éclairer vos concitoyens et principalement de prévenir les hommes puissants, les princes, les ministres, contre des intrigants hypocrites qui prennent le vernis de belles qualités qu’ils n’ont point, pour en imposer et obtenir des places dont ils ne sont pas dignes ; hé bien, il n’est pas nécessaire pour cela de faire tant de bruit, d’avoir recours aux prestiges de la déclamation, à la séduction de la poésie ou des beaux vers qui font croire le pour et le contre, aidés du fracas et de la magie du théâtre, de son appareil fantasmagorique, qui exerçent trop d’empire sur les sens et sur l’imagination des hommes, surtout en rassemblement, qui les exaltent, et les font extravaguer ou passer le but qu’on se propose. […] Ces écrivains célèbres ont prouvé que les leçons particulières, que l’instruction à domicile est souvent préférable à celle qu’on va chercher à la tumultueuse école du théâtre ; puisqu’elle en a l’efficacité sans en avoir les inconvénients.
Détracteur implacable, il voudrait diffamer le Théâtre, asile de la vérité opprimée, temple où la sagesse antique paraît dans toute sa splendeur.
Il est du moins bien difficile à un Compositeur de lui faire peindre & èxprimer quelque chose ; Quelle peine ne doit-il pas se donner, s’il a dessein de la rendre èxpressive, & s’il veut qu’elle soit l’image de ce qui va se passer au Théâtre !
De quel théâtre ?
n les défenseurs des spectacles « criaient que les renverser c’était détruire les lois » : mais ce Père sans s’en émouvoir disait au contraire, que l’esprit des lois était contraire aux théâtres : nous avons maintenant à leur opposer quelque chose de plus fort, puisqu’il y a tant de décrets publics contre la comédie que d’autres que moi ont rapportés : si la coutume l’emporte, si l’abus prévaut, ce qu’on en pourra conclure, c’est tout au plus que la comédie doit être rangée parmi les maux dont un célèbre historieno a dit qu’on les défend toujours, et qu’on les a toujours.
Et l’excuse est nulle, de dire qu’il ne monte plus sur échafaud et théâtre, s’il enseigne les autres à faire le semblable.
L’Expérience a toujours fait connaître que le Théâtre est une très méchante école de la vertu ; et que les moyens que les Poètes semblent employer pour corriger les hommes de leurs vices, sont plus propres à les y entretenir, qu’à les en délivrera