C’étaient des Pélerins qui d’abord dans les Eglises et les cimetières, ensuite dans les maisons particulières, dans les places publiques, enfin sur un théâtre régulier pour le temps, voulaient mettre d’une manière sensible, sous les yeux d’un peuple grossier, des objets sublimes qu’il n’était pas en état de comprendre ; ce qu’on a souvent fait avec fruit dans les missions, par des tableaux allégoriques ou des représentations animées. […] Mais jamais les premiers fidèles ne respectèrent assez peu la religion pour l’abandonner aux yeux et aux oreilles profanes de l’amphithéâtre ; ils étaient trop sages pour en courir le risque. […] Tel ce sacrilège qui dans les expressions de l’amour divin cherchait de quoi faire des déclarations infâmes ; tel ce Peintre scandaleux qui choisit les histoires de Joseph, de Bethsabée, de Suzanne, pour renouveler les horreurs d’Arétin et des Carache ; tel l’impie Hérode, curieux de voir Jésus-Christ, non pour se ranger sous sa loi, mais pour repaître ses yeux de quelque prodige, mais pour s’en jouer et le renvoyer couvert, en dérision, d’une robe blanche : « Sprevit eum cum exercitu tuo. » N’en dis-je pas trop ?
» Si des pièces jouées dans un couvent par des enfants élevés dans la vertu, sous les yeux des supérieurs, sont cependant si dangereuses aux yeux d'une femme de Cour, croira-t-on sans danger celles que donnent des Actrices qui ne sont ni des enfants ni des religieuses ? […] Je ne parle point du temps qu'emportent les rôles qu'il faut apprendre, des distractions que donne le charme des vers, de l'orgueil de celles qui jouent, de la jalousie de celles qui ne jouent pas, des airs de hauteur qu'on prend au théâtre et qu'on ne quitte pas dans la suite ; tous les couvents ont les yeux attachés sur S.
Ces bagatelles que de petits incidens font naître, & dont on rougit souvent dans la suite, inspirent plus de hardiesse ; des conseils donnés avec lumière ou non, & auxquels l’amour propre n’a garde de se refuser, tournent les yeux du jeune-homme sur le Théatre.
Ainsi un Auteur Dramatique est dans une nécessité absolue d’avoir toujours le Comédien sous les yeux pour juger par son jeu des effets de chaque partie de son ouvrage.
Saint Cyprien disoit autrefois1 que l’idolâtrie est la mere de tous les Spectacles, elle y attire les Chrétiens pour les initier à ses mystéres, sous couleur de divertissemens ; elle glisse son venin dans l’ame par les yeux & par les oreilles qu’elle a soin de chatouiller par le plaisir des représentations théâtrales : est-il en effet, ajoutoit ce saint Pere, un spectacle sans idoles, qui ne soit accompagné de quelque sacrifice, où la Scéne ne soit ensanglantée par la mort d’un Atlhéte.
Les Prêtres doivent s'éloigner de tous les objets qui ne font que charmer les oreilles, et surprendre les yeux par des apparences vaines, et pernicieuses, et ils ne doivent pas seulement rejeter et fuir les Comédiens, les Farces et les Jeux déshonnêtes; mais ils doivent encore représenter aux Fidèles, l'obligation qu'ils ont de les rejeter et de les fuir.
Au lieu de travailler à guérir les plaies qu’ils ont faites à l’âme, et à la délivrer de la dépendance où elle est à leur égard, on fortifie les liens qui l’asservissent, on les multiplie, et on la contraint en quelque sorte à être toute dans les yeux et dans les oreilles.
Les Grecs, les Latins, et avec eux les Auteurs dramatiques de tout pays ont pensé que la vraie définition de la Comédie, c’est d’être une représentation qui nous fait voir nos faiblesses, comme dans un miroir ; qui nous découvre les illusions de l’esprit humain ; qui nous met sous les yeux nos vices et nos passions ; afin que nous nous voyons nous-mêmes tels que nous sommes, et que la risée du Public nous fasse connaître combien nous sommes ridicules.
Il jouoit plus souvent dans les Comédies que dans les Tragédies, soit qu’il fût mécontent des Tragédies Romaines, soit qu’il lui fût plus aisé dans la Comédie de cacher le défaut de ses yeux, qui étoient de travers. […] Ce n’est pas seulement la populace qu’Horace accuse, puisqu’il nous dit que dans l’Ordre même des Chevaliers on préféroit le plaisir des yeux à celui des oreilles : Equitis quoque jam migravit ab aure voluptas.
Que peut-on donc faire de mieux pour les jeunes gens qui ont ce livre entre les mains, et qui tâchent de l’entendre, que de leur donner une traduction qui le leur explique de telle sorte, qu’elle les fasse passer par-dessus les endroits qui seraient capables de les corrompre ; qui leur ôte de devant les yeux tout ce qu’il y a de trop libre, et qui supprime à ce dessein des comédies toutes entières ? […] Ils sont surpris d’y voir que tandis que ceux qui disent que les Propositions sont dans Jansénius demeurent sans preuve sur une chose dont les yeux sont juges, ceux qui nient qu’elles y soient, quoiqu’ils fussent déchargés de la preuve selon la règle de droit, ont prouvé cent et cent fois cette négative d’une manière invincible.
En effet, que prétend Corneille dans le Cid, sinon que l’on ait pour Chiméne les yeux de Rodrigue, qu’on l’aime, & que l’on tremble avec lui lorsqu’il est en danger de la perdre, & qu’on s’estime heureux avec cet amant qui la posséde enfin ?
Par toi-même bientôt menée à l’Opera, De quel œil penses-tu que ta sainte verra, &c.
« Empêcher convenante provision et remède en tels maux, serait pécher mortellement, et se rendre suspect d’être mauvais Chrétien, et perfide enfant des Païens : cela se pourrait prouver par la sainte écriture et saints Docteurs, qui reprennent telles choses mauvaises et abominables faites les jours des fêtes, comme idolâtries, et maudites vanités : et si quelqu’un dit, que telles choses ne sont que jeu et récréation, écoute une brève réponse, qui est un proverbe commun très véritable et digne d’être observé : il ne se faut jamais jouer à la foi, à l’œil, ni à la renommée.
Que celui de vous, qui sera proche de quelque Eglise, s’y rende promptement ; et que pendant ces jours, il répande son âme devant Dieu par les prières, et par les larmes : que vos yeux et vos mains soient pendant tout ce jour étendues vers Dieu ; parce que c’est le jour qui représente le repos éternel, et de Dieu et des âmes saintes en Dieu, c’est ce jour qui dans la Loi et dans les Prophètes, a été figuré par le septième jour, qu’on appelait le Sabbat.
C’est ce que nous font comprendre ces admirables paroles que nous avons rapportées auparavant du Concile de Mâcon ; « Que vos yeux et vos mains soient sans cesse pendant tout ce jour, élevées vers Dieu. » Can.
Des leçons pour apprendre les subtilités du vice, ou des exemples pour s’affermir dans le crime, ou des aliments des passions pour en repaître leur cœur, ou des peintures fabuleuses pour retracer à leur imagination de trop coupables vérités. » Le théâtre ne leur plaît qu’autant qu’on a soin de ne pas contrarier, jusqu’à un certain point, leurs penchants, qu’on y ménage, qu’on y flatte même leurs passions favorites, qu’on y donne aux vices qui leur sont les plus naturels un vernis d’héroïsme et de grandeur qui adoucisse à leurs propres yeux ce qu’auraient d’odieux des couleurs trop vraies et des images trop ressemblantes : comme ils sont plus susceptibles d’impressions nuisibles et dangereuses que d’impressions bonnes et utiles, une morale exacte, une raison sévère les ennuient et les rebutent.
J’ai toujours regardé la forme de l’habillement des femmes, comme une suite et comme une conséquence de cette modestie dont le sexe fait profession ; aussi voyons nous que, dans tous les pays, quelque différence que l’usage ait introduit dans les habits, ceux des femmes ont été respectés ; et, malgré les variations infinies de la mode, elles sont restées couvertes depuis les épaules jusqu’aux pieds ; il y a même des pays où elles sont enveloppées en entier dans une mante, en sorte qu’elles ne laissent entrevoir qu’un œil pour se conduire ; mais dans les pays même où les femmes ont le plus de liberté, la décence exige qu’elles ne laissent voir précisement que leur visage et leurs mains ; encore ont elles soin de porter toujours des gants.
Angélique ouvre les yeux, et s’apperçoit qu’il ne voulait l’épouser qu’afin de se ménager dans ses richesses une ressource pour le jeu, elle l’abandonne et se marie avec un autre.
En Espagne on baissoit les yeux. […] Le Prince de Condé & l’Amiral de Coligni comploterent d’enlever le Roi, la Reine & la galante Cour, & vinrent avec deux mille chevaux, couverts du casque de Mars & de l’égide de Minerve, sans craindre le carquois de l’Amour, bien resolus de repousser tous les traits que tant de beaux yeux pourroient lancer. […] Cathérine donnoit à ses enfans des fêtes infâmes, où à la place des Officiers ordinaires, elle les faisoit servir par les plus belles femmes de la Cour, demi nues, qui en portant les plats, & leur offrant des coupes pleines d’un vin délicieux, mettoient sous leurs yeux les objets les plus capables de les faire tomber dans une double ivresse. […] Elle fut si contente de ses beautés, qu’elle s’y ravit en contemplation, & ne pouvoit en tirer les yeux.
Nos moralistes trop indulgens sur l’intention des maîtres ont fermé les yeux sur les suites, en s’approchant du grand théatre, par les essais qu’il en fait, ce jeune homme se lie avec les acteurs, dès son entrée dans le monde, son cœur ne tarde pas d’être de moitié dans cette société, il ne peut que s’y former à la dissipation, à la frivolité, vice dominant de la nation : avouons à l’honneur de l’Université de Paris, que ce misérable accessoire de l’éducation n’est point de son invention, elle ne l’a adopté qu’imparfaitement, & à regret, par émulation, elle eût risqué de voir les écoles désertes, si elle avoit privé les femmes des plaisirs de voir leurs enfans figurer dans cette brillante mascarade : maintenant que cette émulation est anéantie avec les émules, les patriotes s’éléveront contre l’abus. […] Sont-ce bien là des images à mettre sous les yeux des jeunes gens, des détails à exercer leur mémoire, des objets à remplir leur imagination ? […] L’Opéra de Paris qui voyoit d’un œil chagrin les succès des autres théâtres, voyant que les François avoient la foulé, s’avisa de leur défendre d’exécuter des ballets.
Il suffit de jeter les yeux sur la note (14), pour sentir tout le ridicule des priviléges dramatiques. […] Les entraves que l’on veut donner au théâtre, sont des chaînes dont on chargeroit la liberté, le plus grand bien, le plus grand bonheur dont un peuple puisse jouir ; mais il n’y a pas de bonheur sans mélange, et la licence est l’alliage de la liberté ; c’est une tache sur l’œil du corps politique, il faut, pour l’enlever, une main sûre et habile. Il vaudrait encore mieux laisser subsister la tache, que de blesser l’œil.
469, le naturel est plus grave, les Acteurs sont plus modestes, on n’y connoît point les farces, & le Magistrat a tellement l’œil à ces débats, que ceux qui y disent ou font des choses contraires à la pudeur, sont séverement châtiés. […] Tous les traits de désintéressement, de générosité, de reconnoissance, que j’étalois à vos yeux, n’étoient que des ressorts bas, inventés par le vice, pour contrefaire & séduire la vertu, &c.
Quand ce partage essentiel eut été fait, les Poëtes crurent ne devoir chercher les exemples des Passions réservées pour-la Comédie, que parmi les hommes du commun : non que les Rois & les Héros en soient exempts, mais parce qu’ils cachent leurs foiblesses aux yeux du Public, ne voulant y paroître que pour inspirer l’admiration ou le respect. […] Eschyle fut appellé le pere de la Tragédie, parce qu’il la tira de son état rude & grossier, comme dit Quintilien, rudem ac impolitam Tragædiam aliquantulum illustravit, & il mérita surtout ce titre, pour avoir compris le premier, qu’il falloit écarter des yeux des Spectateurs la vue des meurtres : c’est ce qu’on lit dans Philostrate.
Si ce discours peut ouvrir les yeux à quelqu’un, je serai parvenu à la fin que je me suis proposée. […] Dieu nous a donne des yeux, une bouche et des oreilles, afin, dit S.
La vertu au contraire seroit toujours sous les yeux, avec tous ses charmes.
Que si sous les yeux et la discipline de maîtres pieux on a tant de peine à régler le théâtre, que sera-ce dans la licence d’une troupe de comédiens, qui n’ont point de règle que celles de leur profit et du plaisir des spectateurs ?
: Prenez garde de pas tomber dans l’erreur, mes très chers frères ; vous avez les constitutions des apôtres et des hommes apostoliques, vous avez les saints canons, jouissez-en, mettez-y toute votre force, prenez plaisir à les lire, considérez-les comme vos armes, afin que par leur secours et par le soin que vous prendrez de les avoir toujours devant les yeux et de les suivre avec ferveur, ils vous servent d’armes capables de vous défendre contre toutes les attaques des ennemis de votre salut ; car ce serait une chose tout à fait indigne d’un évêque ou d’un prêtre, de refuser de suivre les règles que l’Eglise, où est le siège de Saint-Pierre, suit et enseigne. » On voit que ce souverain pontife s’écrie que ce serait une chose tout à fait indigne d’un évêque ou d’un prêtre de refuser de suivre les règles de l’Eglise ; Or, il est manifeste, cependant, que les évêques et les prêtres ont enfreint ces lois et ces règles, et que le chrétien, dans l’amertume de son cœur, voit l’Eglise désertée par les chefs propres de sa milice ; car tous les canons que je viens de citer et qui font la base constitutive de la discipline des ecclésiastiques, sont totalement inobservés, et peut-être méconnus !
Ce ne sera ni l’injustice de nos Censeurs, ni les préjugés aveugles des passions humaines qui seront nos juges, ce sera Dieu seul, dont l’œil perce le fond des cœurs.
n’est-ce pas là que s’allume une passion que la vue et les regards enflamment de plus en plus ; car chacun y voit de quoi il est capable, chacun approuve et désire de faire ce qu’il voit devant ses yeux, il n’y a personne qui ne sorte de là tout en feu ; je n’en excepte ni les enfants à qui on ne devrait pas donner ces leçons prématurées, ni les vieillards, que la seule bienséance devrait détourner de semblables désordres.
Le temps n’est plus où le caprice et l’oisiveté pouvaient enfanter des volumes sans objet ; les travaux de l’esprit sont actuellement vus sous un aspect plus élevé ; l’art de l’historien ne consiste plus à tourner adroitement des épigrammes ; on n’irait pas loin en estime littéraire par une élégie sur les rigueurs de la marquise ou une épitre légère sur les séductions du chevalier ; nous voulons dans les romans autre chose que les mœurs de l’antichambre ou du boudoir, et certes, ce serait à nos yeux un étrange philosophe que celui qui n’étudierait la nature morale de l’homme que pour en faire saillir toutes les imperfections, ou qui s’attacherait à éteindre toute exaltation de l’âme par un froid et amer dénigrement.
Tous les Calaisiens sont des Gascons ; à les entendre, ils fixent les yeux de l’univers & des siecles, ils doivent servir de modèle au monde, ils ont par tout des envieux & des jaloux, leur sang va par tout enfanter des miracles, un Maire de Calais raffermit la couronne, & le lys florissant ombrage l’univers. […] Cette gloire immense qui de tous les Calaisiens, jusqu’au dernier valet, faisoit autant de Césars qui fixoient les yeux de l’univers, de tout cela il n’y a de réel que les beaux & les bons louis d’or que le sieur de Belloi a touché du neuvieme de ces brillantes représentations, la médaille & la boëte d’or, & le portrait placé à l’Hôtel-de-Ville au milieu du Sénat & du Peuple de Calais. […] Ce n’est pas tolérance, c’est indifférence de religion, qui les regarde toutes de même œil, dans une parfaite égalité. […] On peut même distinguer quelques gestes ; mais on n’apperçoit pas les traits de la physionomie, il faut avertir, c’est un tel mort, encore moins le langage des yeux, les passions peintes sur le visage.
Mais le Chancelier Daguesseau, qui ne fut jamais à la comédie, & qui dans ses Mercuriales en fait un portrait hideux, pour en éloigner les Magistrats ; mais M. de Lamoignon, que Moliere joua, ce qui a fait écrire si vivement contre Moliere Baillet son Bibliothécaire ; mais M. le Franc de Pompignan, qui malgré ses brillans succès y a renoncé si généreusement & si bien écrit contre ce dangereux spectacle au religieux fils de Racine ; mais Corneille, Racine, Quinault, Lafontaine, inconsolables d’avoir travaillé pour le Théatre, lorsque la grace leur ouvrit les yeux, auroient-ils placé Moliere sur les autels ? […] Une femme est un soleil, une lune, tout au moins une aurore ; ses beaux yeux sont des astres, &c. […] Mais il a un mérite de plus, qui n’a pas trouvé grace aux yeux du Conseil, il déclame ouvertement contre la loi de la continence imposée au Clergé & aux Religieux, dont il s’imagine que l’ame tendre & sensible de l’Archevêque de Cambrai sur la victime, & qu’il éleve jusqu’aux cieux, comme un prodige fort au-dessus de l’homme. […] C’est donc un malheur de le connoître, il ne l’étoit pas aux yeux des anciens Philosophes, nosce teipsum, ni à ceux de S.
& ne fut-ce pas sous ses yeux à Paris & par son ordre que le fils de Raimond parut la corde au cou dans l’Eglise Notre-Dame ? […] De tous les vices c’est à ses yeux le plus grand. […] Les amateurs du théatre ont-ils cette vérité devant les yeux ?
Un spectacle inventé pour attirer les Hommes par toutes sortes de charmes, doit émouvoir le cœur par l’Action, plaire à l’esprit par la peinture des Caracteres & des Sentimens, enchanter les oreilles par l’harmonie du Discours, & attacher les yeux par l’appareil de la Représentation. […] Levons les yeux vers les saintes montagnes …. […] Il ne falloit pas frapper un grand coup pour l’abattre, la nôtre a su résister au même coup, nous avons su conserver notre raison pour goûter la Tragédie, & nous sommes comme convenus que quand nous irions à l’Opera abandonner nos sens aux charmes de l’harmonie, nous laisserions notre Raison à la porte ; par conséquent ce Spectacle quand il est long ennuie, parce que, suivant Saint Evremond, où l’esprit a si peu à faire, c’est une nécessité que les sens viennent à languir : c’est en vain que l’oreille est flattée, & que les yeux sont charmés, si l’esprit n’est pas satisfait.