Si Corneille nous eût représenté Antiochus, obligeant sa Mere, comme le rapporte l’Histoire, à boire une coupe empoisonnée, il nous eût présenté un objet odieux : un Poëte Grec n’eût pas épargné aux Athéniens la vue d’un Fils empoisonnant sa Mere. […] Des Innocens dans les tourmens faisoient pleurer, & la vue de leurs bourreaux faisoit frémir : la Religion contribuoit à faire accourir le Peuple à ces Spectacles, & la Religion y contribuoit aussi à Athenes. […] Quand nos Spectacles ne furent plus ceux du Peuple, leur caractere changea, & pour occuper des Spectateurs d’un autre goût, on traita les Sujets de la Fable, & de l’Histoire profane, & nos Poëtes durent avoir en les traitant des vues que ne pouvoit avoir un Poëte Grec. […] Le Sujet d’Œdipe n’est recommandable, ni par les mœurs, ni par les sentimens, ni par les caracteres, & jamais Sujet ne fut plus heureux pour la Tragédie : c’est le sujet qu’Aristote avoit toujours en vue.
Outre plus si tu veux détourner ta vue pour contempler les villes et cités, tu les trouveras bien peuplées, mais c’est chose plus triste, que si elles étaient désertes. […] Détourne ta vue maintenant, pour considérer les divers spectacles, non moins détestables, que ce que nous venons de dire : tu verras ès Théâtres, ce qui te causera grande douleur, et te fera rougir de honte.
Je le demande à ces Pédans maussades, pour qui les plaisirs des autres sont un supplice, & qui cependant se livrent sans réserve au plus doux de tous pour leurs cœurs ulcérés, à celui de fronder, Quel crime y a-t-il à rire du tableau vivant des ridicules ; à s’attendrir à la vue des misères humaines ; à se livrer à l’admiration, à l’enthousiasme qu’excite l’héroïsme de la vertu ; à ressentir la douce, la délicieuse émotion d’un amour honnête ? […] Aussi de tous nos sens, n’y en a-t-il point de si vif, & qui nous enrichisse d’idées plus que la vue. […] En effet, qu’une femme galante, connue pour telle, tienne des propos indifférens, devant des gens corrompus, ils sauront impudiquer tout ce qu’elle dit, & dans les moindres choses, ils lui prêteront des vues, des desseins ; ils jugeront toutes ses paroles à la rigueur d’après ses vices ordinaires, l’impudence & la légèreté. […] Il y a bien de la différence entre peindre aux yeux, comme on le fait dans nos plus mauvaises Comédies, un jeune fou, qu’une jeune folle aime en dépit d’un père ou d’un tuteur ; entre, les voir tout employer pour parvenir à leurs fins par des tromperies ; & aller soi-même s’occuper à leurrer une fille, fourber d’honnêtes parens, pour les forcer à légitimer par leur consentement une union tout-à-fait opposée à leurs vues. […] Après cette Réformation, il se trouvera sans doute encore quelques Spectateurs qui abuseront d’un Exercice instructif, honnête, utile, comme l’on voit des gens, que des vues criminelles conduisent seules dans nos Temples : l’homme sensé les plaindra ; mais il ne desirera pas que pour eux, l’on prive la Nation du plus noble de ses amusemens.