On ne peut donc point douter qu’un Evêque ne soit dans l’obligation de corriger les vices qu’il remarque dans son troupeau, et principalement de remédier à ceux qui sont publics et scandaleux : et celui qui étant constitué dans cette dignité et dans cette charge, ne reprendrait pas et ne ferait pas ce qui dépendrait de lui pour ôter ces scandales, mériterait plutôt, suivant la pensée de saint Grégoire, d’être appelé « un chien mort, que de porter le nom d’Evêque ».
On y voit des prêtres audacieux animés par un esprit de domination et altérés d’une soif inextinguible des richesses et des honneurs de ce bas monde, se livrer à tous les vices et se permettre des crimes en tout genre, qu’ils ne considéraient que comme des moyens nécessaires et légitimes, pour assurer le succès de leurs projets ambitieux.
Et pour le faire avec ordre, il faut supposer, disent-ils, que le Théâtre est l’école de l’homme, dans laquelle les Poètes, qui étaient les Théologiens du paganisme, ont prétendu purger la volonté des passions par la Tragédie, et guérir l’entendement des opinions erronées par la Comédie : que pour arriver à ce but, ils ont cru que le plus sûr moyen était de proposer les exemples des vices qu’ils voulaient détruire ; s’imaginant, et avec raison, qu’il était plus à propos, pour rendre les hommes sages, de montrer ce qu’il leur fallait éviter, que ce qu’ils devaient imiter. […] Et c’est ici, concluent enfin ces Messieurs, où il faut remarquer l’injustice de la grande objection qu’on a toujours faite contre cette pièce ; qui est que décriant les apparences de la vertu, on rend suspects ceux qui outre cela en ont le fond aussi bien que ceux qui ne l’ont pas ; comme si ces apparences étaient les mêmes dans les uns que dans les autres ; que les véritables dévots fussent capables des affectations que cette pièce reprend dans les hypocrites, et que la vertu n’eût pas un dehors reconnaissable de même que le vice. […] si on produit la Vérité avec toute la dignité qui doit l’accompagner partout, si on a prévu et évité jusqu’aux effets les moins fâcheux qui pouvaient arriver, même par accident, de la peinture du vice : si on a pris, contre la corruption des esprits du siècle, toutes les précautions qu’une connaissance parfaite de la saine Antiquité, une vénération solide pour la Religion, une méditation profonde de la nature de l’âme, une expérience de plusieurs années, et qu’un travail effroyable ont pu fournir ; il se trouvera après cela des gens capables d’un contresens si horrible, que de proscrire un ouvrage, qui est le résultat de tant d’excellents préparatifs, par cette seule raison, qu’il est nouveau de voir exposer la Religion dans une salle de Comédie, pour bien, pour dignement, pour discrètement, nécessairement et utilement qu’on le fasse ! […] Je sais encore qu’on me dira que le vice dont je parle étant le plus naturel de tous, ne manquera jamais de charmes capables de surmonter tout ce que cette comédie y pourrait attacher de ridicule : mais je réponds à cela deux choses ; l’une, que dans l’opinion de tous les gens qui connaissent le monde, ce péché, moralement parlant, est le plus universel qu’il puisse être ; l’autre, que cela procède beaucoup plus, surtout dans les femmes, des mœurs, de la liberté et de la légèreté de notre nation, que d’aucun penchant naturel, étant certain que, de toutes les civilisées il n’en est point qui y soit moins portée par le tempérament que la Française : cela supposé, je suis persuadé que le degré de ridicule où cette pièce ferait paraître tous les entretiens et les raisonnements, qui sont les préludes naturels de la galanterie du tête-à-tête, qui est la dangereuse ; je prétends, dis-je, que ce caractère de ridicule, qui serait inséparablement attaché à ces voies et à ces acheminements de corruption, par cette représentation, serait assez puissant et assez fort pour contrebalancer l’attrait qui fait donner dans le panneau les trois [qu]arts des femmes qui y donnent.