L'âme ne saurait conserver une véritable piété sans le secours d'une crainte salutaire, qu'elle conçoit à la vue des dangers dont elle est environnée.
Les Italiens pour justifier leur infidélité à la Rime, dont l’envie de faire plus aisément des Vers a été la véritable cause, prétendent qu’on doit trouver des graces incomparables dans leurs Vers qu’ils appellent Endecafillabo sciolto. […] Il en faut dire autant des Poëtes Dramatiques Grecs, qui très-libertins dans la Comédie, furent toujours sages dans la Tragédie, parce qu’ils ne s’imaginerent jamais qu’un Poëme destiné à faire verser des larmes, & à peindre des douleurs véritables, Dût connoître l’Amour & ses folles douleurs. […] A cette premiere réforme il en ajouta une seconde, il fit parler à cette Passion son véritable langage. […] Parce que dans celles-ci l’Amour parle son langage véritable, ce qui, malgré les intentions de l’Auteur, doit les rendre très-dangereuses, quand elles sont représentées par des personnes habiles à imiter la Nature.
On s’attendrit plus volontiers à des maux feints qu’à des maux véritables. […] « Cette pièce nous découvre mieux qu’aucune autre la véritable vue dans laquelle Molière a composé son théâtre, et peut mieux nous faire juger de ses vrais effets. […] Alceste, dans cette pièce, est un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien qui déteste les mœurs de son siècle et la méchanceté de ses contemporains, qui, précisément parce qu’il aime ses semblables, hait en eux les maux qu’ils se font réciproquement, et les vices dont les maux sont l’ouvrage. […] Ce sont des fables, à la vérité, mais des fables qui font sur le cœur de plusieurs des impressions plus durables que les vérités les plus sublimesag . » Et quand même le fond de ces pièces serait tiré de l’Ecriture sainte, on ne peut pas les voir sans danger ; parce que la sainte morale, transportée sur un théâtre, ne peut produire dans ce sol empesté que des fruits pernicieux : sa place véritable et naturelle est dans la chaire, où environnée de la majesté de Dieu, nourrie de l’onction qui la rend si touchante et si auguste, elle déploie toute sa dignité et toute sa force ; mais au théâtre c’est un sel affadi ; elle n’y paraît que pour être tournée en ridicule, pour essuyer le mépris et encourir la haine des spectateurs.