« Peut-on imaginer un moyen plus honnête de ne point tromper autrui, du moins quant à la figure, et de se montrer avec les agréments et les défauts que l’on peut avoir, aux gens qui ont intérêt de nous bien connaître avant de s’obliger à nous aimer ? […] Que peuvent donc avoir de coupable aux yeux de Dieu les pleurs que nous versons avec Andromaque, avec Iphigénie, et les sanglots que nous arrache le désespoir de Clytemnestre, quand sa fille, sa fille chérie, enlevée à ses embrassements, marche à l’autel pour y être sacrifiée à l’ambition de son père par la main d’un prêtre… Que peut avoir de coupable aux yeux de la divinité notre rire, à la brusquerie d’un tuteur justement trompé ; celui qu’excite le désespoir d’un avare qui se croit volé, se fouille lui-même, interroge tout ce qui l’entoure, et nous aussi spectateurs ?
Au reste, que le Théologien ne s’y trompe pas. […] Tout ce qu’on peut faire pour l’obliger, c’est de ne le point regarder comme Casuiste ni relâché, ni sévère, ni modéré ; et de croire ou ne croire pas « trahir la vérité », ni « blesser » personne, en voulant mettre celle de son ami dans « un plein repos » : mais que malheureusement il se trompe et qui pis est : qu’il semble aimer son erreur.
Même principe de vanité, même envie de tromper, même effet de séduire d’abord un moment, & de déplaire quand il est connu ; quoique les moyens soient différens, les prétextes spécieux, les airs compassés, les expressions recherchés, sont des couleurs empruntées, des artifices pour se couvrir & en imposer. […] On le voyoit dans les rues chanter & danser avec le premier venu, comme les bohémiens & les chantres du Pont-neuf ; il devenoit amoureux de toutes les jolies filles, se déguisoit de mille manieres, il faisoit cent folies pour leur plaire ou tromper leurs parens, en officier, en magistrat, en marchand, &c. […] On adopte cette idée en France : on dit communément d’un homme qui se déguise pour tromper, c’est un comédien, il joue la comédie.