» Ces maximes perverses, qui ne sont pas moins opposées à la religion qu’à la raison, sont préconisées dans une infinité de pièces tragiques.
Le poëte universel est encore à naître, même dans les divers théâtres tragique, comique, lyrique, pastoral. […] Leurs petitesses, leurs débauches, intempérance, mollesse, seraient-elles souffertes sur la scène tragique ? […] S’il en est des modèles au théâtre, ce ne peut être que dans le haut tragique. […] Les autres tragiques qui se font un devoir de l’adorer et une gloire de l’imiter, oseraient-ils crier à l’injustice pour eux-mêmes, si on fait voir qu’on ne prend à son école qu’un faux goût de sublime, qu’il égare plus qu’il n’instruit ? […] On extrairait aisément des auteurs tragiques un recueil horrible d’assertions sur le régicide orné de la pompe des vers ; mais on a beau parer le visage des Furies et des Gorgones, ce n’est qu’un sublime de scélératesse et la déraison, qui ne mérite que l’indignation des honnêtes gens, loin de leur fournir des modèles.
En effet, les remords de Cinna et son incertitude dans la troisième Scène du troisième Acte, rendraient son caractère plus grand et plus digne de la majesté tragique ; on ne le verrait balancer qu’entre la générosité de son cœur et le désir de la vengeance. […] Je conviens aussi que Médée a de fortes raisons pour s’emporter contre son mari infidèle et ingrat : mais la vengeance qu’elle en prend, en massacrant ses propres enfants, est tout à fait barbare et dénaturée ; et je trouve cette action tragique bien atroce, pour être présentée aux Spectateurs de notre temps. […] Je conviens que dans le dernier cas l’humanité l’emporte, et que l’on souhaiterait de voir finir les supplices de ces malheureux ; mais dans l’autre, la compassion n’est pas si forte, l’esprit et le cœur n’ont pas les mêmes ressorts : il est fort ordinaire de plaindre les hommes qui subissent la peine de mort ordonnée par la Justice ; mais j’ai toujours vu que l’on souhaitait aux grands scélérats des malheurs encore plus grands que ceux qu’on leur fait souffrir dans un Livre ou dans une action tragique. […] J’y trouvais la véritable horreur tragique, telle que les Anciens l’ont connue ; mais modifiée à la manière des modernes, avec un art qui me paraissait admirable.