Réduit à cet état de langueur, ou plutôt d’anéantissement, ce squélette informe ne peut que révolter ; il fait une si lourde chûte, en paraissant, que jamais il n’en releve ; il se montre, il tombe, il meurt, on l’enterre & tout est fini pour lui. […] Les partisans des Trétaux, ne manqueraient pas de dire, si cet Ecrit leur tombaient dans les mains, que mes observations, dont vous sentez, Monsieur, toute la vérité, ne sont qu’une diatribe outrée : non, non, & tout homme instruit de ce qui se passe, tout homme judicieux qui me lira, m’aura bientôt justifié de ce reproche. […] Non, Monsieur, je ne crois pas exagérer mon calcul, en soutenant que le mal vénérien prêté & rendu par les sujets des deux sexes qui abondent aux Spectacles Forains, fait mourir ou estropie plus de citoyens & de citoyennes, en un an, que la guerre ne détruit de soldats en trois batailles rangées28 Que de gens, fortunés possesseurs d’une aisance acquise par leurs travaux, & d’une santé conservée par leur sagesse eussent coulé, dans une vieillesse exempte d’infirmités, des jours paisibles & sereins, qui sont à la fleur de leur âge, plus ou moins lentement descendus dans la tombe, au milieu des humiliations, des douleurs & des souffrances, pour avoir, à l’exemple des deux jeunes gens que je viens de citer, assisté une seule fois aux jeux scéniques des Remparts ! […] On ne voit que de jeunes vieillards, dont les jambes en fuseau, peuvent à peine supporter des corps qui tombent en ruine Quand une fois on a vécu pour l’amour, dit une personne de beaucoup d’esprit, on ne peut plus vivre que pour lui : je crois, Monsieur, qu’on peut hardiment dire la même chose du libertinage, & vous voyez quelles en sont les funestes suites : voilà pourtant tout ce que nous a valu l’établissement de ces dépôts de la…29. […] Mais que l’on substitue aux Spectacles du Rempart, des Spectacles plus dignes de la Nation, des Spectacles capables de ramener le goût & les mœurs, des Spectacles, enfin, qui dirigent les inclinations de nos enfans vers le bien, alors les appréhensions que l’on a, tomberont d’elles-mêmes : & s’il se trouve encore des mauvais sujets, la sévérité de la Police, qui éclairera toutes leurs démarches, les contiendra dans le devoir, & les forcera, sous les peines les plus rigoureuses, à ne pas troubler le bon ordre & la tranquillité publique ; mais nous le répétons, il faut que le zèle & la prudence du sage Magistrat, qui y préside, soient secondés.
Et afin que notre Docteur ne rejette pas à son ordinaire ce que Tertullien a dit contre la Comédie sur la Comédie ancienne, posons l’idée de la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui, et voyons si la censure de Tertullien ne tombe pas aussi sur elle. […] Qu’il lise les Lois, et il verra qu’elles font tomber l’infamie « sur ceux qui font métier de jouer sur le Théâtre, et qui en tirent un gain et un profit honteux», ainsi que font nos Comédiens ; et que par conséquent elle ne s’étend point à des jeunes gens, à qui on ne fait déclamer que des Pièces honnêtes, et en forme d’exercice seulement, afin de les disposer à paraître quelques joursn avec plus de liberté et de hardiesse dans les emplois publics. […] « Je n’ai jamais pu, dit-il, par leur moyen entrevoir cette prétendue malignité de la Comédie : car si elle était la source de tant de crimes, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait que les riches et ceux qui ont le moyen d’y aller qui fussent les plus grands pécheurs ; et nous voyons cependant que cela bien égal, et que les pauvres qui ne savent pas ce que c’est que la Comédie, ne tombent pas moins dans les crimes de colère, d’impureté et d’ambition : j’aime donc mieux conclure avec plus de vraisemblance, que ces péchés sont des effets de la malice ou de la faiblesse humaine, qui de toutes sortes d’objets indifféremment prennent occasion de pécher. » On ne se serait point douté que notre Docteur fît le métier de confesser, s’il n’en avait averti ; car ce métier est un peu sérieux pour un Docteur de Théâtre : il nous assure cependant que c’est là un des moyens dont il s’est servi pour s’endoctriner sur le fait de la Comédie. […] « Je suis obligé d’avouer, dit-il, qu’il ne m’en est jamais tombé aucune sous les mains où j’ai trouvé rien d’indécent ni de déshonnête, qui pût en quelque manière blesser le Christianisme ou la pureté des Mœurs. » Il faut le féliciter du bonheur qu’il a eu de si bien rencontrer : mais n’est-ce pas aussi qu’il n’est pas délicat sur l’article ? […] La dévotion aisée ne s’était point encore avisée de ce secret, et elle n’était jamais allé si loin ; mais voilà les égarements où l’on tombe quand on abandonne les Vérités éternelles, pour suivre le penchant et les inclinations du monde.
Notre corps tombe dans une espece de langueur & d’abbattement, nous ne le sentons presque plus, & à peine croyons-nous vivre lorsqu’il demeure trop longtemps dans une entiere inaction : il en est de même à proportion pour notre ame & encore plus que pour notre corps ; elle n’est par sa nature qu’une pensée & une volonté toujours subsistante, & par conséquent toujours agissante ; son repos n’est, à proprement parler, qu’un moindre mouvement. […] Notre corps tombe dans une espece de langueur & d’abbattement, nous ne le sentons presque plus, & à peine croyons-nous vivre lorsqu’il demeure trop longtemps dans une entiere inaction : il en est de même à proportion pour notre ame & encore plus que pour notre corps ; elle n’est par sa nature qu’une pensée & une volonté toujours subsistante, & par conséquent toujours agissante ; son repos n’est, à proprement parler, qu’un moindre mouvement. […] Il n’y a presque point de Tragédie qui ne satisfasse d’abord ces différentes dispositions de notre ame ; & c’est peutêtre en partie par cette raison que l’on voit plusieurs pieces de Théâtre avoir un succès surprenant dans les premieres représentations, tomber bientôt après, & échouer enfin dans l’opinion publique, parce que notre esprit n’étant plus soutenu par la nouveauté & la singularité de l’évenement, remarque bien plus les défauts qui se trouvent, ou dans la conduite de la Piece, ou dans les mœurs, ou dans l’expression.