Une remarque suffit : si les dehors sont plus décents, et l’extravagance plus cachée, si les impressions religieuses sont plus souvent au fond de l’âme, au lieu de s’exhaler en simagrées, cessez de reprocher à notre siècle les travers qu’il n’a pas, ou de le féliciter insidieusement de ceux auxquels il se livre encore ; cessez de calomnier vos contemporains selon l’usage immémorial de ceux qui profèrent de vaines paroles.
Il n’est pas nécessaire que les choses que l’on compare, conviennent en tout, il suffit qu’elles conviennent en quelque point ; ces choses conviennent en ce que, comme le désir déréglé de l’or et de l’argent est mauvais, de même le désir du plaisir que l’on prend à la Comédie l’est aussi. […] Personne, continue-t-il, ne vient jouir du plaisir qui s’y trouve sans quelque passion, et cette passion ne se fait point ressentir sans quelques chutes » ; enfin il conclut en disant que ceux qui en sont spectateurs et qui y prennent plaisir, se rendent coupables des crimes qui y sont représentés. « Pour ce qui est16 , dit-il, de nous autres Chrétiens il ne nous suffit point de nous exempter de faire de telles choses, si en même temps nous ne prenons garde à ne point consentir à ceux qui les font. […] » De sorte que quand Saint Antonin dit ailleurs, que c’est un péché mortel de représenter des choses fort déshonnêtes, comme c’en est un de les regarder63 : on ne doit point entendre les paroles de cet Auteur, comme si pour faire un péché mortel, il ne suffisait pas que les choses représentées fussent déshonnêtes, mais encore qu’elles fussent beaucoup déshonnêtes. […] Il n’est pas nécessaire qu’une chose soit beaucoup déshonnête pour être une occasion de tentation, il suffit qu’elle soit déshonnête. […] En un mot, si la Comédie est ordinairement mauvaise dans la pratique, comme on l’a montré, elle ne peut point servir de divertissement. « Peut-on, dit l’Empereur Justinien102 , appeler des jeux, ce qui est la source des crimes » ; il ne nous suffit point, s’écrie Salvien103 au Livre cité, de « nous réjouir, il faut encore que notre divertissement soit un crime, ce qui est manifestement condamné dans l’Ecriture », dit cet Auteur.
Que s’il faut justifier mon Ouvrage en particulier, il me suffit du moins pour établir l’unité morale que ce commerce qui est entre la Ville et le Camp pour l’exécution de ce qui se passe sur la Scène, se puisse faire vraisemblablement dans moins de temps qu’il ne faut pour satisfaire à la règle de vingt-quatre heures ; et d’ailleurs cette unité de Scène se doit expliquer plus favorablement pour mon Ouvrage, puisque la proximité du Camp et de la Ville était absolument nécessaire dans les Sièges du temps de Judith où l’on ne pouvait battre les murailles de la Ville assiégée, qu’avec des machines.