les spectateurs ne sont-ils pas autant de complices de ce crime ? […] N’avons-nous pas entendu des hommes du monde reconnoître qu’on ne pouvoit y être attiré que par l’appas même de la licence, & avouer qu’en grossissant la foule des spectateurs, ils auroient eu honte d’y conduire les personnes dont ils avoient intérêt de conserver l’innocence & la vertu ? […] L’incrédulité a mêlé son poison à tant d’autres qui les infectoient déja : on n’y néglige aucune occasion d’ébranler les fondemens de la foi, de lancer sur la Religion, sur ses Ministres, sur ses Mystères, les traits les plus malins ; & ce sont ces traits impies qui attirent les applaudissemens des spectateurs ; ce sont ceux qu’on retient avec plus de facilité, qu’on répète avec plus de complaisance. […] Lors même qu’il met sous vos yeux le portrait vraiment odieux d’un hypocrite détestable, n’est-il pas évident que son but est de rendre la piété suspecte ; & n’est-ce pas la conséquence qu’en tirent des spectateurs déja trop portés à la mépriser ?
Augustin, se sont déchaînez avec juste raison, & ont employé toute la force de leur éloquence à les décrier ; pendant que l’Eglise les a condamnez par ses Canons, & prononcé Anathême contre les Spectateurs. […] Je vous avertiray seulement, que je ne comprends point entre ces spectacles dangereux & préjudiciables à l’innocence des spectateurs, ces réjoüissances publiques qui se font aux Entrées des Souverains, ou par l’ordre des Magistrats, pour les heureux succez de l’Etat, ni les marques de magnificences, que les Princes donnent quelquefois au public ; telles que sont les courses de Bague, Carrousels, representations de combats, feux d’artifice, triomphes, ni tous les autres dont la vûë n’a rien qui puisse porter au crime, & dont même les personnes de pieté ont pris occasion d’élever leur esprit à Dieu, & de penser aux joyes que Dieu leur avoit preparées dans le Ciel, S. […] non, encore une fois ; car comme la plûpart des veritables vertus, qui sont celles de l’Evangile, n’y peuvent trouver de place, & que ce seroit un Heros d’un caractere bien nouveau, d’y representer un homme patient, humble, insensible aux injures, & en un mot, un veritable Chrétien ; on a substitué de fausses vertus, pour exprimer, & pour exciter ces sentimens que le monde appelle nobles & genereux ; le point d’honneur, pour lequel on expose sa vie dans un combat singulier, la passion de dominer, & de s’élever par toutes sortes de voyes, des fourberies, des trahisons, des perfidies, des amitiez qui engagent dans le crime pour servir un amy ; on y voit enfin couronner le vice, authoriser l’injustice par d’illustres exemples, & les maximes les plus contraires à la Religion, passer pour de grandes vertus, & pour des exploits signalez, sans quoy le Theâtre languiroit ; il faut donc pour l’animer, y representer des choses conformes au goût & aux inclinations des spectateurs. […] Il n’est pas moins inutile d’ajoûter, que quoyque l’on ne voye guere de pieces de Theâtre sans amour, & que pour l’y faire entrer, on n’a pas même égard à la verité de l’Histoire, pourvû qu’on ne sorte point de la vray-semblance ; neanmoins on n’y represente que des passions legitimes, qui ont pour fin le Mariage, que Dieu même a authorisé, & institué le premier ; parce que l’esprit de ceux qui les voyent representer, ne s’attache qu’à ce qui luy plaît, & fait abstraction des circonstances qui les peuvent justifier ; car ce n’est pas une chose que les Acteurs puissent regler dans ceux qui écoutent, ni arrêter dans les limites qui sont permises, comme fait le Poëte dans ses Vers ; au contraire les spectateurs n’en reçoivent souvent que ce qu’elles ont de criminel ; & elles agissent ensuite selon la difference des dispositions qu’elles rencontrent ; & l’on peut dire, que souvent la representation d’une passion couverte de ce voile d’honnêteté, a plus infailliblement son effet, que les autres les plus illegitimes, parce qu’on est moins sur ses gardes, qu’on s’en défie, & qu’on s’en défend le moins ; aussi agit-elle plus à coup sûr, & sans qu’on se précautionne des remedes qui pourroient en empêcher l’impression : d’où il s’ensuit que ces spectacles sont toûjours dangereux pour tout le monde, & qu’un Chrétien ne doit jamais se fier à sa propre vertu.
L’immodestie du théatre n’est ni obscure, ni douteuse, ni médiocre, ni passagère ; l’univers en est témoin depuis vingt siecles ; les Actrices s’en font gloire, & les spectateurs courent s’en repaître. […] car ce n’est pas en passant, comme dans les rues, ce sont les heures entieres qu’on fixe ses yeux & son cœur sur une foule de Comédiennes, danseuses, chanteuses, figurantes, spectatrices vicieuses, immodestes, impudentes, dissolues, armées de tout ce que la parure, l’attitude, le geste, ont de plus recherché & de plus séduisant, qui ne montrent, ne représentent, ne respirent que le vice. […] Chaque athlette ne luttoit que contre un adversaire ; chaque Actrice fait la guerre à tous les spectateurs ; ce n’est pas au corps, c’est à l’ame qu’elle livre l’assaut. […] Sans doute personne ne fera d’exception pour les Actrices : chacune sa premiere admiratrice, sa premiere amante, réunit dans ses yeux & dans son cœur tous les yeux & tous les cœurs du parterre, & brûle elle seule sur son autel plus d’encens que tous les spectateurs ensemble.