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35. (1705) Sermon contre la comédie et le bal « I. Point. » pp. 178-200

Elle fait encore un effet plus malin sur le cœur que sur l’esprit, car si elle gâte ce dernier, elle corrompt l’autre en y excitant les passions et les remuant avec d’autant plus de promptitude et de vivacité, qu’elle y trouve de correspondance, c’est là son but et sa fin principale, c’est ce qui lui attire les applaudissements des spectateurs, la plupart acteurs secrets dans la pièce ; autrement ils s’ennuient, ils languissent, ils s’endorment, et comme dans la lecture ou le chant des Psaumes, on entre dans tous les mouvements et les saintes passions du chantre sacré, qu’on prie avec lui, qu’on gémit, qu’on se réjouit, qu’on passe de l’espérance à la crainte, de la tristesse à la joie, des plaintes aux remerciements, de la frayeur à l’assurance, du trouble à la paix, ici on entre encore plus naturellement dans les divers mouvements des acteurs introduits sur la Scène, le lecteur ou le spectateur est transporté hors de lui-même, tantôt il se sent le cœur plein d’un feu martial, et s’imagine combattre, tantôt agité de mouvements plus doux, il est amoureux, il estime, il craint, il désire, il n’y a point de passion dont il ne sente les atteintes et les émotions. Ainsi il fait un exercice continuel d’ambition, de vanité, de fausse tendresse, de vengeance, tout est en combustion chez lui, sans qu’il en sente seulement la fumée parce qu’il en est dehors, l’appareil de son supplice y est tout dressé par le déchaînement des passions sans qu’il l’aperçoive, tout occupé qu’il est de ces aventures imaginaires qui font des plaies très réelles et très profondes dans son âme, il ne voit pas les précipices que ses ennemis lui creusent, et les chaînes qu’ils lui forgent, je pleurais, dit saint Augustin dans les Confessions, une Reine Didon qui s’était tuée par un violent transport de son amour, et je ne pleurais pas mon âme, ô mon Dieu, à qui je donnais la mort, en m’éloignant de vous sa vraie vie, par l’attachement déréglé à ces fictions dangereuses. […] Il y a encore d’autres vices dont nous ne sommes pas moins susceptibles que de celui-là qui y sont pareillement excités, tels sont l’orgueil, l’ambition, les maximes du faux honneur, la jalousie, la vengeance, tous peints avec des couleurs si belles, qu’on se sent forcé d’estimer ceux en qui ils se trouvent. […] Nous voyons encore aujourd’hui (car la grâce est uniforme) qu’une des choses qui pèse le plus sur la conscience de ceux qui reviennent à Dieu après de longs égarements, et qui leur cause le plus de douleur, est de s’être livrés autrefois à l’amour de ces spectacles dont ils ont remporté des blessures profondes qu’ils ne sentaient pas alors, et d’y avoir consumé tant de temps.

36. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XII. De la Déclamation Théatrale des Anciens. » pp. 336-381

Ces Passages ne font-ils pas sentir que les Chœurs seuls étoient chantés ? […] Lorsque Quintilien demande pourquoi Cicéron a mis per hosce dies, & non pas per hos dies, il répond qu’il est plus aisé d’en sentir la raison que de la dire. Comment la pourrions nous dire, nous qui ne la sentons pas ? […] Quelle différence y sentons-nous, & comment la faisons-nous sentir en lisant dans Virgile Italiam, Italiam ? […] Les Vers Iambes & Saphiques qu’avoit fait Catulle, avec les mêmes pieds, n’ont donc pas les mêmes nombres, les mêmes modes : sentons-nous cette différence ?

37. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XX. Suite des prétendus talents du Comédien & de la Déclamation théatralle. » pp. 63-85

Elle sert non-seulement à l’Auteur, mais encore au Lecteur, à l’un, à juger de l’effet d’une période, accompagnée d’un ton & d’un geste convenables ; à l’autre, à se mettre à la place du premier, & à sentir ce qu’il veut lui dire. […] Quand Corneille a mis son qu’il mourut , l’auroit-il écrit au hazard, sans sentir les beautés de cette expression ? […] Si l’on se fût contenté de dire, qu’il fait éclore de l’énergie des idées, l’énergie d’action, cela eût moins senti l’enthousiasme, & on se seroit apperçu que l’énergie d’action ne peut avoir sa source que dans celle des idées. […] De même, si on vante un Acteur, c’est d’avoir bien senti & bien rendu les idées du Poëte, & les passions qu’il a exprimées.

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