C’est aussi cet esprit de société, répandu en torrent, ou sans mesure ni ménagement, qui, de l’aveu ingénu du plus éloquent panégyriste de Molière, a produit l’abus de la société et de la philosophie, qui est cause que la jeunesse a perdu toute morale à quinze ans, et toute sensibilité à vingt ; qui fait aussi qu’après avoir perdu l’honneur, on peut aujourd’hui le recouvrer rentrer dans cette île, du temps de Molière escarpée et sans bords, c’est-à-dire, jouir de la considération, de tous les avantages et priviléges de la vertu Comparez les temps et jugez, dis-je, vous verrez de plus que, malgré les cent cinquante mille pièces de théâtre environ qui nous ont passé sur le corps, ou plutôt sur l’âme, depuis la restauration des lettres, pour nous perfectionner, nous nous sommes toujours détériorés de plus en plus ; vous verrez que les rares petits coins de la terre civilisée qu’on pourrait encore proposer pour exemples d’innocence et de vertus, sont précisément ceux où il n’a jamais paru ni théâtre, ni comédie, ni beaucoup des gens qu’ils perfectionnent dans les villes ; et vous en inférerez que pour mettre le comble à la dépravation, surtout aujourd’hui que les hommes corrompus sont presque partout en grande majorité, et que jouer les vices au théâtre, c’est à peu près comme si on jouait l’anglomanie en Angleterre, il ne manquerait plus que de livrer de même à la justice précipitée du public malin, qui a besoin de rire, qui ne se rassemble que pour cela, à ce tribunal confus, incohérent et enthousiaste, composé de toutes sortes de gens, qui tient ses assises dans toutes sortes de lieux, qui passe en sections du théâtre dans les salons et dans les réduits, sur les places publiques et aux coins des rues, où il délibère d’après ses passions discordantes, propres on empruntées, qui dénature on change les actes d’accusation, qui juge cent fois in idem, dont la jurisprudence est incertaine et si versatile qu’il désavoue habituellement ses jugements, lesquels, en effet, sont cassés en grande partie, et souvent, après des années de la plus cruelle exécution, quelquefois dans un autre siècle, par le public mieux éclairé, sage et impartial, dont les arrêts méritent seulement alors toute confiance et respect ; il ne manquerait plus, dis-je, que de traduire à ce tribunal les hypocrites des autres vertus dont il reste plus de lambeaux, en ajoutant aux tartufes de religion, de mœurs, de bienfaisance, etc., les tartufes de justice, d’indulgence ou de pitié, de patience ou de modération, de modestie, de grandeur d’âme, d’amour filial ; et vous n’aurez aucun doute non plus qu’une satire en comédie dirigée contre une hypocrite de tendresse maternelle, comme il y en a effectivement, sur qui, par le jeu d’un Brunet ou d’un Potier, qui représenterait la marâtre, on livrerait à la risée publique le ton, les soins empressés, les caresses, les émotions ou les tendres élans du cœur d’une mère, ne portât une atteinte funeste à la plus précieuse des vertus, et ne détruisit en peu de temps l’ouvrage du génie supérieur qui a défendu si éloquemment la cause de l’enfance et mis à la mode, en les faisant chérir, les premiers devoirs de la maternité. […] De là les impatiences, les manques de respect, d’estime et de bons procédés, l’oubli des bienséances et des devoirs ; de là l’insubordination ou le mépris de toute autorité religieuse, politique, civile et domestique ; de là peut-être naquit aussi cette prétention insensée d’une égalité impossible, je veux dire absolue, qui a récemment agité tant de simples. […] Vu cet irrésistible progrès des choses, et cette disposition générale des esprits, disposition telle qu’on ne voit presque plus que des envieux ou du métier infâme, ou des talents et de la vue des infâmes qui l’exerçent, le fait de les laisser sous l’anathême, qui contribue déjà au relâchement de cette partie de la société, est très-préjudiciable dans tous les cas à la foi et au respect dûs aux décrets de l’Eglise, et nuit par là généralement aux mœurs. […] Ainsi les jeunes femmes ne seront pas admises aux écoles théâtrales des mauvais maris, des maris jaloux, ou vieux, crédules, bourrus, auxquels leurs épouses jouent mille tours perfides ; ainsi les jeunes gens seront aussi exclus du spectacle les jours que des hommes auxquels ils doivent particulièrement le respect, par exemple, outre les pères et mères, leurs supérieurs, maîtres ou instituteurs, et les vieillards, devront y recevoir les leçons humiliantes et flétrissantes du ridicule, etc. […] Malgré le dernier résultat de ce grand procès, cette nominative et rude attaque a plus épouvanté et tiendra plus en respect les chefs de tontine que vingt comédies vagues, fussent-elles intitulées : les Tontinéries ou Tontinières, représentant la mauvaise foi, la honteuse avidité, les faux calculs, les jeux cupides, en un mot, les iniquités de ces administrations et d’autres prises en masse auxquelles ne président point des Larochefoucaulds.
N’est-ce pas saper le fondement du respect religieux qui leur est dû ? […] Souffrirait-on à la Cour, ni même dans un Etat policé, qu’on jouât le Roi, les Princes, les Magistrats même des autres royaumes, non seulement par la crainte de la satire, mais encore, ne jouât-on que leurs belles actions, pour ne pas blesser le respect qui leur est dû, et familiariser le peuple avec ses maîtres, en les lui donnant en spectacle ? […] Mais il semble qu’on ait pour ces Dieux un religieux respect. […] Si les Ecclésiastiques et les Religieux doivent s’abstenir des spectacles, les gens qui font une profession particulière de piété, qui sont censés plus recueillis, plus mortifiés, plus attentifs à leurs devoirs, éloignés des plaisirs du monde, en garde contre les occasions du péché, pleins de respect pour les choses saintes, ne scandalisent-ils pas quand ils prennent part à ces plaisirs pour le moins suspects ? […] C’est jusque là que ces Princes portaient leur respect pour la religion.
Connoissant leur respect pour l’Evangile, & leur amour pour J.