Je ne les ai que trop lues autrefois ; j’y ai trouvé quantité de bons mots qui pouvaient être accompagnés de gestes et de postures risibles, comme l’on fait encore tous les jours ; mais je n’y vois point d’endroit où l’on puisse appliquer et inférer l’exécution des infamies dont il est question. […] Cependant pour ne pas faire ici une question de nom, je veux bien vous accorder que Saint Thomas sous le mot « d’Histriones », a compris les Comédiens ; mais je nie que Saint Thomas dans tout ce qu’il a dit dans ces deux articles 2 et 3, en parlant de la Comédie seulement par occasion, l’ait justifiée telle qu’elle est dans l’usage ordinaire, et telle que vous la considériez. […] Que si vous n’êtes pas content de cela, et que vous demandiez encore si la Comédie prise en général et séparée de cette condition est permise, je réponds que c’est une question Métaphysique et inutile dans l’usage, qu’une telle Comédie n’est que dans votre idée, et n’a nulle réalité. […] Vous dites page 3, que vous auriez « bientôt décidé la question de la Comédie, si l’Ecriture Sainte s’en expliquait de quelque manière que ce pût être ». […] 43 » Tout cela vous doit faire voir combien peu de raison vous avez eu d’appuyer sur Saint Thomas votre sentiment de l’assistance à la Comédie le jour de Dimanche ; et de faire dire à ce Saint dans l’article 2 de la 168e question in corpore de la 2a 2ae, qu’il était permis d’y assister « ce jour-là ».
Car du moins si c’étoient les pasteurs des ames, si c’étoient les maîtres de la morale, si c’étoient les ministres des autels, les directeurs, les prédicateurs de la parole de Dieu, qui maintenant et parmi nous eussent sur la question que je traite, des principes moins séveres que ceux de toute l’antiquité ; et si ces principes étoient généralement et constamment suivis par la plus saine partie des chrétiens, peut-être seroit-il plus supportable alors d’examiner, de délibérer, de disputer. […] Une femme qui se sent chargée d’elle-même jusqu’à ne pouvoir en quelque sorte se supporter ni souffrir personne, dès qu’une partie de jeu vient à lui manquer ; qui n’a d’autre entretien que de son jeu ; qui du matin au soir n’a dans l’idée que son jeu ; qui n’ayant pas, à l’entendre parler, assez de force pour soutenir quelques moments de réflexions sur les vérités du salut, trouve néanmoins assez de santé pour passer les nuits dès qu’il est question de son jeu ; dites-le moi, mes chers Auditeurs, cet homme, cette femme gardent-ils dans le jeu la modération convenable ?
Qu’on ne dise pas que ces applaudissemens se rapportent plus au jeu de notre Melpomène qu’à ses paroles : les hommes d’aujourd’hui rougiroient de passer pour être moins impies qu’automates ; ils auroient honte de paroître se laisser plus transporter par ces cheveux hérissés d’horreur… ces regards égarés, ces sons de voix plus lents , par ce jeu de l’Actrice ; en un mot, que sentir tout le beau de la question, d’où le sçait-il ? […] dans le Livre de l’Esprit , Unde animi constet natura , ne peut-on pas dire de la faculté d’aimer, (de cet amour bien entendu dont il est ici question) ce qu’il n’est pas permis de dire de la faculté de penser ? […] également coupables : les poisons de la nature de ceux dont il est ici question, ne pouvant être mauvais qu’à proportion qu’ils sont apperçus, jugeons des hommes par le cortege de séduction de leur coupe empoisonnée ; un poison qui distillé goute à goute, est transmis par des canaux comme imperceptibles avec un art qui les dérobe aux trois quarts & demi des esprits de ceux qui l’avalent, peut-il faire autant de ravage que celui qui coulant à grands flots capables de renverser des cédres, a le secret enchanteur de se faire gouter, savourer, & d’ennyvrer par le charme des yeux & des oreilles généralement tous les cœurs de tout âge, de tout sexe, de toute condition ?