C’est pourquoi tandis qu’on les voit prendre tant de plaisir à répéter ces airs de l’Opéra. […] Les Chrétiens qui ont renoncé aux plaisirs du siècle dans leur Baptême, deviennent des prévaricateurs, lorsqu’après cela ils vont à la Comédie, qui est comprise parmi ces plaisirs. […] Ainsi c’est une étrange illusion, que de s’imaginer que le plaisir de la Comédie puisse être compatible avec les gémissements et les pleurs dans lesquels un pénitent doit passer sa vie. Un Chrétien se distingue de l’Infidèle, en ce qu’il ne met sa joie qu’en Dieu ; et le pécheur converti doit se distinguer de celui qui a conservé son innocence, en ce qu’il se prive des plaisirs même légitimes et permis, pour venger en lui ses joies déréglées, et ses plaisirs criminels. […] Un enfant qui aime son père, prendrait-il plaisir à le voir déshonorer ?
Que le grand Corneille a honoré nostre siecle de tout ce que les honnestes plaisirs & la belle curiosité pouvoient attendre de l’Art & de l’Esprit. […] Mais un bon Acteur fait tousiours honneur au Poëte, & plaisir au Spectateur. […] Par-là, non-seulement leur ignorance se découvre, leur brusquerie éclate, mais encore leur interest, & le plaisir public en souffrent. Pour le second, c’est une coupable timidité de n’oser pas faire comprendre au Roy la consequence des plaisirs interrompus, & de la sureté publique violée. […] Ces lieux consacrez aux beaux & honnestes plaisirs, doivent estre sous une protection particuliere du Roy & de ses Magistrats : & loin d’y souffrir l’insolence de ces Breteux, qui ne sont Braves que parmy les Bourgeois & les femmes : il faudroit empescher absolument la liberté d’entrer avec des armes & sans argent.
Rien ne découvre mieux l’intention secrète qu’on a de chercher du plaisir dans l’agitation que le spectacle cause à l’âme, que l’indignation que l’on ressent contre les personnes qui n’ont pas eu le talent de l’agiter ni de troubler son repos. […] Mais n’est-ce pas le comble de la misère de ne pouvoir trouver de plaisir que dans ses propres maux, de récompenser ceux qui savent les entretenir ? […] « Les spectacles sont cette frénésie réduite en art ; et il n’y a pas de moyen plus court pour convertir en plaisirs nos maladies, qu’en nous renversant la raison ; car tout ce qu’on y voit et qu’on y entend ne s’adresse qu’aux sens et à la cupidité. […] « Il n’y a donc rien de plus dangereux, quand il s’agit des mœurs, que de chercher à voir ce qu’on ne veut pas être ; car on devient aisément ce qu’on regarde avec plaisir, puisque c’est le plaisir qui attire le cœur, et qu’il est impossible qu’il n’approuve pas ce qu’il goûte avec joie. « Il est vrai que peu de personnes connaissent tout le danger des passions, dont on n’est ému que parce qu’on les voit ; mais ces passions ne causent guère moins de désordres que les autres, et elles sont encore en cela plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent n’est point mêlé de ces peines et de ces chagrins qui suivent les autres passions et qui servent quelquefois à en corriger ; car ce qu’on voit dans autrui touche assez pour faire plaisir, mais ne touche pas assez pour tourmenter : c’est en cela que consiste le danger du théâtre.