Le théatre étoit alors par-tout, toute la France étoit un théatre, on y disoit, on y faisoit grossiérement tout ce que les passions inspiroient à un peuple sans politesse. […] Les Chinois ne pouvoient avoir reçu cet art d’aucun peuple, ils ignoroient que la Grece, que Rome eussent existé. […] (C’est une idée risible, qu’une musique en forme en Ecosse au 16e siécle : il n’y en eut même en France que long tems après ; & une musique Italienne chez un peuple barbare ?) […] Jamais aucun peuple ne s’étoit avisé d’une pareille folie. […] Les peuples ont cent fois donné à leurs Rois des noms bons ou mauvais, mais par voie d’acclamation, jamais d’une maniere légale & législative.
Il y a des Rituels particuliers, qui excommunient ceux qui assistent aux Spectacles les jours de Fêtes et de Dimanches, pendant le Service divin ; c’est ce qu’on publie au Prône de tous les Dimanches, dans toutes les Paroisses de Paris, pour faire souvenir les peuples, que c’est encore un plus grand péché d’assister aux Spectacles les jours de Fêtes, pendant le Service divin. […] Ce saint Docteur examine d’abord, dans l’Homélie 15. au peuple d’Antioche cette question, si c’est un péché d’aller à la Comédie, par ces paroles : « Plusieurs s’imaginent qu’il n’est pas certain que ce soit un péché de monter sur le Théâtre, et d’aller à la Comédie : mais quoiqu’ils en pensent, il est certain que tout cela cause une infinité de maux ; car le plaisir que l’on prend aux spectacles des Comédies, produit l’impudence, et toutes sortes d’incontinences. […] Car ces péchés ne sont pas médiocres, puisqu’on y voit des femmes qui ont perdu toute honte, qui paraissent hardiment sur un Théâtre devant le peuple, qui ont fait une étude de l’impudence, qui par leurs regards et par leurs paroles répandent le poison de l’impudicité dans les yeux et dans les oreilles de tous ceux qui les regardent et qui les écoutent : enfin tout ce qui se fait dans toutes ces représentations malheureuses ne porte qu’au mal ; les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets même et les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison, tout y respire l’impureté. […] Tous les désordres que causent parmi le peuple ces hommes corrompus et ces femmes prostituées, retombent sur vous : car s’il n’y avait point de Spectateurs de Comédies, il n’y aurait ni Comédiens ni Acteurs ; ainsi ceux qui les représentent et ceux qui les voient, s’exposent au feu éternel.
Ils tournèrent en amusement pour le peuple ce qui ne s’était fait d’abord que pour l’instruire et le toucher. […] Les choses saintes ne sont pas faites pour être jouées et servir d’amusement au peuple. […] Disons mieux, le peuple court-il moins de risque de perdre, à son grand malheur, tout esprit de religion ? […] Mais, ajoute-t-on, on va rarement au sermon, on vient fréquemment au spectacle ; un zèle ingénieux qui met tout à profit, ne pourrait-il pas par ces pièces pieuses, faire suppléer l’un à l’autre, instruire et convertir les peuples ? […] Qu’au lieu de sermon à l’Eglise, on mène le peuple à la comédie pour le catéchiser : combien la Gaussin fera-t-elle pousser de soupirs de dévotion, et verser de larmes de componction !