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106. (1789) Lettre à un père de famille. Sur les petits spectacles de Paris pp. 3-46

« Observez, avec soin, disoit-on à une enfant de onze à douze ans, observez de tourner amoureusement vos regards sur celui qui danse avec vous, et de les ramener avec langueur sur le parterre… N’oubliez pas, après avoir battu deux entrechats, de faire la pirouette et de déployer votre jambe… Le comble de l’art, disoit-on à une autre, est de savoir balancer doucement son corps en penchant le cou, en fermant à demi les yeux, en abandonnant ses bras… Dans l’allemande, ajouta-t-on quelques momens aprés, tout est perdu, lorsque le danseur et la danseuse restent froids. […] Outre que j’ai honte de la belle érudition que, pour vous servir, j’ai acquise en deux ou trois jours, & que je veux perdre bien plus vîte, je dois, ce me semble, citer pou en cette occasion, & ne citer que ce que j’ai pu voir & entendre. […] Une badine ou un gros bâton, un chapeau de forme bizarre, des bottines, une cravate énorme, un juste-au-corps étroit ou bien une redingotte immense, quelquefois des boucles d’oreilles, ainsi qu’en portoient les Perses, le peuple le plus efféminé de l’antiquité, voilà la manière de s’habiller de ces hommes perdus ; vous vous attendez bien que celle des femmes qui leur ressemblent n’est pas plus décente. […] Tout n’est pas perdu, s’il reste de la pudeur. […] Peu importe que vous soyez tenté encore de m’accuser de tomber dans l’hyperbole, que vous riez de l’expression trop franche ou trop énergique de mon zèle ; je pense qu’en exposant vous-même, vos enfans à périr par des accidens très-possibles, à se gâter l’esprit, le jugement & le goût, à perdre leurs mœurs, à subir toutes les peines et tous les malheurs attachés à une vie déréglée, ce seroit de votre part, monsieur, non-seulement renoncer à la qualité de guide et de pere, mais devenir leur propre corrupteur et leur assassin.

107. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre onzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre VII. Fêtes de Théatre. » pp. 169-185

Voici quelques anecdotes qui embélissent la fête de Saint-Pons : le Secretaire de l’Evêque, saint Prêtre, & homme intelligent, fut choisi pour souffleur, il s’assit dans une coulisse, & delà souffloit aux acteurs dans le besoin, ce qui arrivoit souvent ; malheureusement il eut une distraction, & dans ce même tems, par le coup fatal du destin, l’acteur qui parloit en eut une autre, & perdit le fil de son rôle, n’étant pas aidé à propos, il demeura court ; c’étoit le Grand-Prêtre Joad, qui venoit de prononcer ce beau vers : Je crains Dieu, cher Abner, & n’ai point d’autre crainte , au désespoir de se voir arrêté, il y suppléa par un autre vers, car la colere suffis & vaut un Apollon  ; il dit haut, avec un zèle édifiant, quel ignorant souffleur ! […] Quelques jours après, les aubes qui avoient servi aux acteurs & actrices ayant été rendues au Chapitre, un Bénéficier scrupuleux se présenta à la sacristie pour dire la Messe, le Sacristain lui donna une aube qui avoit été portée par une actrice cette idée de femme & de comédie le révolta, il ne voulut pas la prendre qu’elle n’eût été blanchie & bénite, comme ayant perdu sa bénédiction & sa pureté, par un usage si prophane ; il courut chez le Grand-Vicaire lui en demander la permission, il fut renvoyé comme un hérétique, qui n’aime pas la comédie, & le Chapitre le siffla ; les Chanoines & les autres Bénéficiers, trop bons catholiques pour faire ces difficultés, s’en servent à l’ordinaire. […] L’Evêque actuel de Saint-Pons se sert des reliques de son prédécesseur, sans penser qu’une actrice leur fasse perdre leur sainteté ; n’est-elle pas elle-même une sainte ? […] Le Roi a changé cet ordre indécent, il a attribué à l’Hôpital le cinquiéme du produit ; mais pour faire retrouver à la comédie ce qu’elle perd par cette charité forcée, on a augmenté le prix des billets, & pour éviter toute discussion, sur la fidélité de la recette, le Roi a évalué ce cinquiéme à 3600 liv. quittes.

108. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre XII. Des Machines & du merveilleux. » pp. 179-203

Observons Bajazet, étonnons Atalide, Et couronnons l’amant, ou perdons le perfide. […] pourquoi les oublie-t-il, & se met-il par là en danger de faire perdre à sa sœur tout le fruit de sa noble résolution ? […] Lincée qui avoit perdu le tems à demander sa femme, qu’on ne lui refusoit pas, est dans une inquiétude mortelle qu’il exprime en très-beaux vers.

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