Il est se vrai que la tristesse & les angoisses que nous cause la Tragédie, nous paraissent délicieuses parce qu’elles satisfont le penchant qu’ont tous les hommes à plaindre les infortunés, que jamais au Théâtre on n’a éprouvé avec peine ces sentimens, tout douloureux, tout déchirant qu’ils sont dans d’autres circonstances. […] La douleur n’est plus une peine alors, elle est un plaisir.
Le Sénat en comprit le danger, lorsqu’il n’étoit plus tems de s’y opposer, le reméde eut été pire que le mal : on se contenta d’infliger aux Comédiens1 la peine d’infamie un Chevalier Romain fut dégradé pour avoir monté une seule fois sur le Théâtre. […] Martial se mocque d’un homme sage qu’il rencontre dans l’Amphithéâtre, ce lieu n’étant point l’azile de la sagesse, la vertu d’un Caton auroit bien de la peine à s’y soutenir. […] Il est remarquable que les payens se rencontrent avec les Peres de l’Eglise, dans le jugement qu’ils ont porté sur les Spectacles, & que la seule raison les ait convaincus d’une maxime qu’on a tant de peine à faire saisir à des personnes qui se disent éclairées des lumieres de la foi, & parfaitement soumises à la sévérité de l’Evangile.
Il auroit peine cependant à l’appeller Tragédie, il ne la mettroit du moins qu’au second rang, & il n’appelleroit point Tragédie, Cinna qui n’excite ni la Crainte ni la Pitié, & dont la Catastrophe est heureuse pour tous les principaux Personnages. […] Comment la Tragédie de Britannicus eût-elle été couronnée à Athenes, puisqu’elle a eu tant de peine à plaire à des Spectateurs qui n’étoient point Peuple ? […] Et nos Poëtes Modernes qui ont ce secours, qui veulent rester longtems sur le Théâtre, & n’ont dans la Versification qu’une loi un peu gênante, qui est celle de la Rime, ou l’observent mal, ou ne l’observent point du tout, & parce qu’ils veulent être Poëtes sans peine, veulent nous faire accroire que cet usage est barbare.