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2. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. —  De la Comédie.  » pp. 267-275

Il est vrai qu’il faut une grande précaution et beaucoup de discernement pour faire le choix des passions et des vices dont on peut faire usage sur le Théâtre ; mais je ne conviens pas qu’on doive en bannir sans distinction toutes ces passions et tous ces vices qui peuvent être dangereux sur la Scène. […] Je conviens qu’il y a des passions et des vices qu’il serait pernicieux d’exposer aux yeux de la jeunesse, et dont il serait à souhaiter qu’elle ignorât même le nom. […] Autant cette passion est étrangère à la Tragédie, autant on peut dire qu’elle est naturelle à la Comédie. […] Je me flatte d’avoir démontré combien cette passion est dangereuse, et combien il importe à la République de la déposséder de son empire. […] Dans cette vue on doit traiter la passion d’amour de la même manière qu’on traite les autres passions sur la Scène.

3. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — CINQUIEME PARTIE. — Tragédies à rejeter. » pp. 235-265

Dans Œdipe, Iphigénie, la Thébaïde, etc. ce n’est que l’ambition, qui fait la passion des Héros ; Phèdre et Andromaque, ce n’est que l’excès de la passion d’amour, qui fait le motif de l’action tragique : ainsi je suis porté à conclure qu’il n’y a que l’ambition et l’amour qui puissent fournir des sujets convenables à la Tragédie. […] La passion d’amour, soit qu’on la montre du côté du vice ou du côté de la vertu, ne corrigera jamais, si elle s’écarte de la nature. […] A l’égard de la passion du Comte pour la Duchesse, il me paraît que malgré la constance avec laquelle le Comte y est fidèle, elle ne fait pas d’impression. […] La passion d’amour, qui du temps de Racine s’était si généralement emparée du Théâtre, peut seule l’excuser d’en avoir fait usage avec tant de profusion. […] Cassandre qui craint de se lier avec un homme dont les passions sont si vives, l’ayant détesté comme Amant, le refuse comme mari.

4. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

Voilà, selon moi, le modèle le plus parfait que l’on puisse donner de la force de la passion, dont j’ai tant de fois parlé. […] A l’égard même du but qu’on se propose dans ces sortes de Pièces ; et c’est de corriger et d’instruire, il n’y a que deux voies pour y parvenir l’une en présentant le vicieux déshonoré par sa passion, l’autre en faisant voir la passion punie dans le vicieux. La passion d’amour, au contraire, est un Caméléon qui change de couleur à tout instant, suivant le caractère des personnes qui en sont possédées. […] Dans cette Fable on ne voit pas un Acteur qui ne soit vivement possedé de la passion d’amour ; et ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’une Pièce, dont le fondement, les motifs et la diction ne respirent que l’amour, me paraît un modèle parfait de la correction que l’on demande pour contenir, dans de justes bornes, une passion si dangereuse. […] Quand les Auteurs se seront imposés la loi de punir la passion d’amour dans leurs Ouvrages, comme ils punissent toutes les autres passions, alors elle sera digne du Théâtre ; parce que la représentation en deviendra utile à la République : mais toutes les fois que la passion d’amour sera non seulement accompagnée de mollesse, mais encore récompensée, comme on ne le voit que trop souvent dans les Pièces de Théâtre ; alors on ne pourra en aucune manière la justifier, et je serai toujours le premier à la condamner.

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