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295. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme. — Chapitre VIII. Du Clergé comédien. » pp. 176-212

L’art insidieux qu’un appelle décence, de déguiser & faire goûter le désordre des passions sous des termes choisis, pleins de politesse, d’élégance & d’harmonie où il a été le plus grand & le plus dangereux maître : art funeste qui fait sa gloire dans le monde & qui fait l’objet de son repentir. […] Racine apporta dans la vertu cette tendresse de sentiment qui fait le poison de ses pieces, & qui tournée vers Dieu, le seul objet digne de notre amour, fait-les grands saints. […] C’est l’imagination la plus noire, qui ne peint que des objets terribles de toute espece, rien de plus hardi, de plus original, de plus rapide que son style, & de plus affreux que ses couleurs ; son pinceau l’emporte & sur Crébillon & sur tous les Tragiques François ; il faut un goût particulier de tristesse pour soutenir cette lecture ; elle plait aux Anglois qui se repaissent d’horreurs ; son génie est plus profond, mais plus boursoufflé, le gigantesque, même le bas, le trivial aussi fréquent que le sublime, sont retrouvés à chaque page, le coloris Britannique, c’est sur-tout le caractere de ses nuits, ouvrage célébre à qui rien ne ressemble, toutes ses œuvres, & singulierement son théatre, est le pendant de celui de Shakespear ; il n’a pas assez de beauté pour être comparé au paradis de Milton. […] Il fut toujours pauvre, laborieux & triste ; la mort d’une épouse de mérite qu’il aimoit beaucoup, & de deux enfans du premier mari de sa femme qui l’avoit comme adopté, l’accablerent de douleurs & le jetterent dans une profonde tristesse dont ses écrits ne sont que l’expression, & si on peut le dire, des accès de redoublement, car la poésie n’est qu’un jeu de machine, la verve une imagination exaltée, la bile qui bouillonne dans le caractere satyrique, le sang dans la galanterie comme l’adresse des animaux qu’on nomme instinct, moins vive, mais plus grande dans son objet que celle de l’homme.

296. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE V. De la Parure. » pp. 107-137

Ces folies occasionnerent une guerre particuliere, dite la guerre des amoureux, dont la galanterie étoit le principe & l’objet, qui fit mettre sur pied & presque périr trois armées, & dont par une paix galante les Calvinistes profiterent. […] Communément ils ne cherchent qu’à plaire, & n’agissent que par vanité ou par intérêt ; mais l’objet & les suites sont bien différens. […] Toute la parure théatrale assortie à son rôle, montée à l’unisson de ses sentiment, ne l’est pas davantage ; elle l’est moins, puisqu’elle met plus vivement sous les yeux les objets qui imitent les sentimens dépravés, qu’elle parle avant qu’on ait ouvert la bouche, après qu’on a cessé de parler, & pendant qu’on s’entretient d’autre chose, elle joue seule son rôle, elle le joue sur la personne même qui la porte. […] Le même objet doit exciter dans les autres cœurs les mêmes sentimens, & les sentimens d’un mari sont-ils permis à tout le monde ?

297. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre treizieme « Réflexions morales, politiques, historiques,et littéraires, sur le théatre. — Chapitre VI.  » pp. 193-217

Mais tout se tait sur cet important objet jusqu’aux auteurs mystiques, les plus féconds en reflexions, jusqu’aux estampes, des rubriques & aux images de devotion, où bien loin de diminuer les ornemens, on les multiplie souvent à l’exces. […] C’est que dans le monde, où tout n’est que décoration & comédie, on fait un objet important des choses les plus indifférentes, lorsqu’on s’imagine que bien ou mal elles servent la vanité. […] La queue est un grand objet de traité de paix entre les nations belligérantes Hausser, amener, baisser le pavillon devant le pavillon fierement levé d’une Puissance supérieure, c’est une partie de l’étiquette maritime, qui quelquefois occasionne des guerres, & l’un des plus grands signes de victoire, c’est de faire traîner sur l’eau les queues du pavillon du vaisseau pris ; comme dans les armées de gagner les drapeaux de l’ennemi, & de tapisser les Eglises de queues militaires.

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