Les Ministres même, pour se soutenir, doivent se prêter à ces foiblesses. […] Le second, intitulé le Cochon mîtré, avec une estampe représentant un Cochon, habillé en Evêque, avec une mître sur la tête, étoit contre l’Archevêque de Reims (le Tellier), frere du Marquis de Louvois, alors Favori de Louis XIV, & Ministre de la guerre, dont on peignoit la vie & la personne avec les couleurs les plus noires. […] Le Ministre le fit enfermer à la Bastille, d’où il n’est plus sorti. […] La richesse des habits, la magnificence des ameublemens, la somptuosité des repas & des équipages sont un luxe, sur-tout dans l’emploi des revenus ecclésiastiques, où il est si aisé, & si ordinaire de passer les bornes que la charité & l’humilité prescrivent à un Ministre de l’Evangile ; mais un prodigue, qui par ostentation renverse la maison, un joueur qui met tout son bien sur une carte, Alexandre qui dans l’ivresse de la passion brule la ville de Persipolis & le palais des Rois de Perse, ne sont-ils coupables que de luxe ? […] Ainsi doit parler celui qui doit lancer la foudre ; à ce zele qui le dévore, je reconnois le Ministre du Tout-Puissant.
Ceux qui roulent sur les choses saintes, ou les Ministres de l’Eglise, produisent un mauvais effet, en inspirant du mépris pour eux et pour la religion. […] Dieu, ses mystères, sa parole, ses Saints, ses Ministres, méritent-ils moins des égards respectueux ? […] Une décoration profane, l’état, les mœurs des Comédiens défigurent encore plus les choses saintes ; un Ministre des autels, et un Comédien ; le caractère d’un Saint, et un métier infâme ; les fonctions des Anges, et l’emploi du démon ; une Eglise, et une salle de spectacle ; qui peut soutenir l’horreur du contraste ! […] L’Eglise a toujours condamné ce mélange peu édifiant de la chaire et du théâtre, du caractère de Ministre et des œuvres d’un Comédien. […] Que les Evêques envoient donc des troupes de Comédiens, au lieu de Missionnaires ; qu’au lieu de Ministres, les Séminaires forment des Acteurs.
Il assembla un concile à Pise contre le pape Jules II, & voulut faire pape le cardinal d’Amboise son ministre. […] On peut faire toutes sortes d’ouvrages systêmatiques dans ce goût, comme l’Abbé commandataire, l’Evêque de Cour, le magistrat, le militaire, le négociant, le ministre ; c’est-à-dire, ramasser tout ce qu’on pourra des vices & des défauts de chaque état, l’oppression des foibles, la vénalité de la justice, la bassesse de l’adulation, le despotisme de la grandeur, le luxe de l’opulence, l’hypocrisie, la mauvaise foi, le masque de la gravité, la molesse de la volupté, la présomption de l’ignorance, les coudre, les découper, en faire un systême, & dire, voilà l’évêque, l’abbé, le magistrat, le financier, l’officier, &c. […] Le Machiavélisme joue sur le théatre quelques rôles à chaque scène : il n’est point de piece où on ne trompe, où l’on ne dépouille quelqu’un par violence ou par artifice ; la tragédie le fait en grand par des princes, des seigneurs, des ministres, des troupes, par l’effusion de sang.