La nuit & les masques donnent la plus grande liberté ; la nuit cout est facile, tout est impuni sous le masque, tout est séduisant au flambeau. […] Je ne parle pas des bals masqués ; ils n’ont rien de particulier, ce sont des bals où l’on vient en masque, & cette matiere reviendra dans la suite. […] Quand on invite à quelque bal, disent les Saints, c’est le Démon qui rassemble son armée ; les danseurs & les masques sont les soldats qui combattent sous ses drapeaux ; les nudités, les parures, les regards, les libertés sont les armes qu’on emploie ; les instrumens sont les trompettes & tambours qui sonnent la charge ; les danses sont la mêlée ; les péchés qui s’y commettent, sont les blessés & les morts, le champ de bataille en est couvert. […] Dan ces innombrables conversations qui de toutes parts se forment, on parle, on crie, on commence, on s’interrompt, on n’écoute pas, on ne sait ce qu’on dit, on ne dit que des sottises ; des ris immodérés se font entendre pour rien, un masque, un faux pas, une allure gauche, sans savoir pourquoi : Fatuus in risu exaltat vocem suam : Sapiens vix tacitè ridet : Va vobis qui ridetis, quia lugebitis. […] La trouvera-t-on dans ces masques qui n’ont employé toute leur imagination qu’à se défigurer ridiculement, dans ces yeux égarés, dans ces têtes mouvantes, dans ces bras agités, dans ces pieds sans consistance, ces propos interrompus, ces réflexions, ces demandes, ces réponses impertinentes ?
On chassa ces Docteurs prêchant sans mission : On vit renaître Hector, Andromaque, Illion ; Seulement les Acteurs laissant le masque antique, Le violon tint lieu de chœur et de musique. […] Tous les deux ont tort : le mélange monstrueux du sacré et du profane est un sacrilège ; mais avec cette différence que le nouveau théâtre a aussi peu de bon que l’ancien avait de mauvais : toute la réforme consiste à supprimer un reste de piété, pour donner le champ libre au crime, et à prendre quelquefois un masque de religion. […] Que serait-ce, s’il donnait un masque à Abraham, s’il peignait la Madeleine, la Sainte Vierge, fardées et découvertes comme nos actrices, si dans un coin du tableau il mettait des danseurs et des danseuses ? […] Quel plus beau jeu pour le vice, que d’être associé à la vertu, dans les mêmes lieux, les mêmes temps, le même exercice, par les mêmes personnes, qui sans changer de sentiment ni de conduite, mais seulement d’habit et de masque, jouent indifféremment tous les rôles ! […] On voit de même que les personnages assortis aux caractères réussissent mieux ; un homme emporté prendra mal un ton doux et tendre, un esprit doux et modéré n’est pas fait pour les fureurs d’Oreste, le masque du vice embarrasse la vertu, le masque de la vertu ne sied pas bien au vice : Rien n’est beau, j’y reviens, que par la vérité.
Si l’adultere leve le masque aujourd’hui avec tant d’effronterie, ce monstre qui causoit tant d’horreur à nos peres, n’en cherchons pas la cause ailleurs que dans la doctrine de ce Comédien, malheureusement trop célébre. […] Les passions se produisoient sur la Scène destituées de vraisemblance, on n’offroit aux Spectateurs que des intrigues froides, sous des masques ridicules, dont le jeu étoit plus injurieux à la raison, que contagieux pour la chasteté.