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9. (1692) De la tragédie « De la tragédie ancienne et moderne. » pp. 148-162

Et à considérer les impressions ordinaires que faisait la Tragédie dans Athènes sur l’âme des Spectateurs, on peut dire que Platon était mieux fondé pour en défendre l’usage, que ne fut Aristote pour le conseiller : car la Tragédie consistant, comme elle faisait, aux mouvements excessifs de la Crainte et de la Pitié h, n’était-ce pas faire du Théâtre une Ecole de frayeur et de compassion, où l’on apprenait à s’épouvanter de tous les périls, et à se désoler de tous les malheurs ? […] Ainsi l’esprit de superstition causa la déroute des armées ; et celui de lamentation fit qu’on se contenta de pleurer les grands malheurs, quand il fallait y chercher quelque remède. […] Telle était l’envie de se lamenter, qu’on exposait bien moins de vertus que de malheurs ; de peur qu’une âme élevée à l’admiration des Héros, ne fût moins propre à s’abandonner à la pitié pour un misérable : et afin de mieux imprimer les sentiments de crainte et d’affliction aux Spectateurs, il y avait toujours sur le Théâtre des Chœurs d’Enfants, de Vierges, de Vieillards, qui fournissaient à chaque événement, ou leurs frayeurs, ou leurs larmes. […] J’aime à voir plaindre l’infortune d’un grand homme malheureux ; j’aime qu’il s’attire de la compassion, et qu’il se rende quelquefois maître de nos larmes : mais je veux que ces larmes tendres et généreuses regardent ensemble ses malheurs et ses vertus, et qu’avec le triste sentiment de la pitié nous ayons celui d’une admiration animée, qui fasse naître en notre âme comme un amoureux désir de l’imiter. […] [NDE] : Lucrèce, De Natura Rerum, livre I, 101 : « Combien de malheurs la religion suscita !

10. (1823) Instruction sur les spectacles « Conclusion. » pp. 195-203

L’expérience prouve qu’il n’y a point d’âmes plus dures et plus féroces que celles qui s’attendrissent sur des malheurs chimériques et romanesques. […] N’avez-vous pas assez de malheurs réels à pleurer et à réparer, sans gémir sur des malheurs imaginaires ?

11. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — [Introduction] » pp. 2-4

On lui nia que cela fût possible, on voulut le tourner en ridicule sur une opinion si extraordinaire : il entreprit, pour la prouver, la tragédie de Phedre, où il réussit si bien à faire plaindre ses malheurs, qu’on a plus de pitié de la criminelle belle-mère, que du vertueux Hippolyte. […] Le criminel est connu & avéré ; le Poëte veut qu’on ait pitié de son malheur, qu’on aime sa personne.

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