Je ne suis pas moins surpris de le voir prosterné aux pieds de La Fontaine avec une vénération qu’on n’a pas dans ce siécle pour les livres saints ; il se tue à excuser son attentat, d’avoir osé travailler après ce prodige, & trouver dans cet auteur divin quelque legere négligence, qu’il a cru ne devoir pas imiter, quelques endroits qu’il a cru devoir retoucher, & qui en effet sont mieux que dans son modele. […] Le galant Ovide a fait en faveur des Dames, un petit livre sur l’art de se farder : de medicamine faciei ; il reste peu de chose de ces ouvrage digne de lui, le reste s’est perdu, la perte est légere ; il y donne des recettes pour faire un beau tard. […] Non, le portrait est chargé, ces horreurs ne seroient pas souffertes, & tout le crédit de ces grandes Princesses ne les sauveroit pas de la corde ; mais se livre au libertinage, suivre les amans contre la volonté de la famille, passer sa vie dans des mauvais commerces, vivre soi-même, & entretenir ses amans dans un célibat & une débauche volontairement sterile, réduire par les enchantemens, c’est-à-dire, par tous les charmes que peuvent prêter l’art & la nature ; enlever la toison d’or, c’est-à-dire, la bource à ses adorateurs ; à ces traits qui ne sont pas chargés, le public sans s’y méprendre, reconnoît aisément les nouvelles Médées : au reste, les rôles de Medée sont si communs sur le théatre, qu’il n’est pas étonnant qu’en s’y familiarisant, on les réalise.
Il a composé & répandu par-tout un livre contre Machiavel & sa politique ; ouvrage très-médiocre, comme tous ceux qui sont sortis de sa plume ; mais ouvrage auquel sa conduite sert de réponse ; il est lui-même son accusateur. […] Voltaire a commencé par ses livres, son histoire, ses anecdotes ; il a rit agréablement, & se fait lire & goûter par sa gayeté & son coloris, avec une liberté qui a l’air de la bonne foi & de la vérité. […] Il est aisé de se faire adorer ; j’ai dis & on a cru que je voulois réformer les abus de la chicane ; j’avoue à ma honte que je n’y ai pas pensé, & que je regrette cinq cens mille livres qui m’en reviendroit par an de mes droits.
Je m’étonne que dans la multitude de recherches qu’a fait ce grand amateur de la danse, qui n’étoit pourtant pas grand danseur, il n’ait point parlé de la danse du sabbat ; il eût aisément trouvé dans les procès des Curés de Loudun & de Marseille, qu’on fit brûler, & dans tous les livres qui traitent des Sorciers & Magiciens, que dans le sabbat le diable donne le bal, que les sorciers & sorcieres dansent en rond, y font des pas de deux, de trois, des contredanses, des bourrées, des gigues ; que le diable est, comme de raison, le Roi du bal ; que malgré ses cornes & sa queue il se fait admirer par la légèreté de ses sauts, l’agilité de ses caprioles, la souplesse de ses membres, la finesse de ses pates, la justesse de son oreille, ainsi que les violons par la beauté de l’exécution ; que les plus malotrus sorciers & les plus vieilles sorciers, tout à coup changés par la vertu de sa baguette, s’y présentent de la meilleure grace, comme de vrais Adonis ; qu’on y sert des rafraîchissemens, & qu’on y prend toutes les libertés qu’on veut, sans que le diable s’en scandalise, comme l’on pense bien ; mais qu’aussi on en revient bien fatigué, lorsque le matin, à cheval sur un bâton, on retourne chez soi. […] Aucun vestige dans les livres de la Genèse & de Job, les seuls monumens qui restent de la religion naturelle. […] Au milieu de la description de celles de tous les peuples, semées d’aventures galantes dont en amateur il a rempli son livre, la vérité lui arrache bien des aveus.