Enfin un grand Prince poussé d’un bon zèle a fait un Traité pour condamner nos Comédies ordinairesb, et il s’est trouvé qu’au même temps un des bons Esprits de ce sièclec a voulu montrer qu’il n’y a que les Comédies infâmes qui doivent être condamnées. […] Nous savons que le dernier qui a écrit a voulu prouver par plusieurs passages des anciens Auteurs et des Pères de l’Eglise, que la Comédie et les Comédiens ont été depuis longtemps réputés infâmes, et qu’il a toujours été défendu aux Chrétiens d’assister à leurs spectacles, comme étant nuisibles et scandaleux.
Enfin ces pièces infâmes font revivre les serpents que l’Evangile a écrasés : elles renouvellent les maladies des âmes que la vérité Chrétienne et la charité ont guéries : elles rétablissent l’idolâtrie, qui est l’origine du Théâtre, selon Tertullien « Aeque spectaculis vestris in tantum renunciamus, in quantum originibus eorum quas scimus de superstitionibus esse conceptas. » Tertull. […] Des hommes et des femmes déclarés infâmes par le Concile 7. de Carthage, et excommuniés, selon le témoignage de saint Cyprien, en la première lettre du septième livre de ses Epîtres, sont les instruments funestes dont le démon se sert pour remporter ces victoires sur la piété chrétienne, et se mettre en possession de ces triomphes, trouvant ces misérables parfaitement dociles à tous les mouvements qu’il lui plaît de leur imprimer dans le cœur et dans le corps. […] Il dispose si absolument de ces esclaves, qu’il y a peu d’hommes et de femmes dans leur troupe qui ne fissent les mêmes impiétés si elles attiraient plus de monde à leurs infâmes spectacles, et s’ils en tiraient plus de profit.
Les assemblées du Théâtre sont des assemblées d’impudicité, où l’on voir tout ce qu’il y a de plus infâme, où les Comédiens représentent tout ce qu’il y a de plus libre, avec les gestes les plus honteux et les plus naturels ; où les femmes perdant toute pudeur, font, à la vue de tout le monde, ce que les plus emportées osent à peine faire dans leurs maisons ; où les jeunes gens se prostituent à toutes sortes d’abominations ; où des filles sans pudeur donnent des leçons de libertinage à celles qui n’ont nulle connaissance, ni nul usage de l’impudicité. Plus ces déclamations sont véhémentes, moins ont-elles de force contre la Comédie moderne ; non seulement ce n’est pas un Théâtre, ni une école d’impudicité ; non seulement les Comédiens n’y jouent rien d’infâme, ni avec des postures indécentes : mais même des paroles un peu libres ; des équivoques à qui l’on pourrait donner un mauvais sens, suffiraient pour faire interdire et pour faire siffler la meilleure pièce. […] Il est donc aisé de voir, que les Comédies anciennes n’ont rien de commun avec les modernes, et que si les Pères les ont décriées en termes si forts et si sanglants, c’est qu’elles étaient en effet très criminelles, et très infâmes : Ainsi les conséquences que l’on tire des raisonnements des Pères, portent à faux, à cause du peu de rapport qu’il y a entre les Comédies anciennes et les modernes ; puisqu’alors de la liberté des paroles on passait à celle des actions, et que l’on faisait dépouiller les Comédiennes en plein Théâtre, pour contenter la licencieuse curiosité d’un Peuple impudique. […] Que si l’on trouve quelques Canons de Conciles, et quelques anciens Rituels, qui défendent d’administrer les Sacrements aux Comédiens, ces Canons et ces Rituels ne censurent que les Comédiens scandaleux, qui représentaient des Comédies infâmes avec des postures indécentes. […] On regardait les Comédiens comme des infâmes ; et ils n’étaient pas même reçus à former des accusations.