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71. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XI. Les Grecs ont-ils porté plus loin que nous la perfection de la Tragédie ? » pp. 316-335

N’ayant longtems connu que les Poëtes Espagnols, & quoique avec de tels guides devenu par son seul génie supérieur dans son Art, ce fut après avoir lui-même crée parmi nous la Tragédie, qu’il voulut connoître celle des Grecs. […] ce ne sont point les Sujets qui nous manquent, ce sont les Génies créateurs qui nous manquent. […] On pourroit dire encore que l’arrivée de l’homme de Corinthe, quoique très-possible, tient un peu du Merveilleux, ce qui contribue à faire croire que ce Sujet a été ajusté au Théâtre par Sophocle : & n’est-ce pas un plus grand effort de génie, de savoir ajuster les Regles de son Art à un Sujet dont on conserve toute la vérité historique ?

72. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-huitieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre I. Mêlanges Dramatiques. » pp. 8-39

Leurs autres poëtes, quoique enthousiasmés de celui-ci, sont pourtant plus retenus ; le génie de la nation enfante toujours quelques excès, c’est le fruit du terroir : mais ils en ont moins, ils les préparent mieux, il les adoucissent ; au lieu que le fougueux Shakespear brusque tout, & ne connoît point de regle. […] Voilà ses traits, c’est son fou, son génie, Il brave la caducité : Mais, nouveau Phidias, si tu lui rens la vie, Il te vaut l’immortalité. […] Si c’est-là braver la caducité, si c’est-là son feu, son génie, cet objet est peu brillant. […] Il est vrai que le génie du pays, tourné à la bouffonnerie & aux concetti, est moins propre au tragique : aussi les italiens ne donnent point de tragédies. […] Le Théatre en fit un homme frivole : il donna des romans, comédies, ballets, & fit parler depuis le sceptre jusqu’à la houlette, depuis les génies jusqu’aux chats.

73. (1702) Lettre de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour. Lettre de Lettres curieuses de littérature et de morale « LETTRE. de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour, qui lui avait demandé quelques réflexions sur les pièces de Théâtre. » pp. 312-410

Si Phèdre a excité de la commisération sur notre Théâtre, quoiqu’elle fût criminelle, c’est que Racine, d’un génie supérieur, et maître de son sujet, a si bien ménagé la faiblesse de cette Reine, qu’il en a fait retomber tout le blâme sur la confidente, qui abusait de la confiance que sa Maîtresse avait en elle. […] C’est en quoi le Poète fait paraître son génie, lorsqu’il produit dans les esprits, les mêmes effets par de simples récits, que par des spectacles réels. […] Le spectateur fait bon gré au Poète, de lui épargner la vue des corps sanglants de ces Héros blessés à mort, et expirants sur le Théâtre ; mais un Auteur qui se défie de la faiblesse de son génie, et qui craint de ne se pas assez soutenir dans sa narration, pour produire de grands sentiments dans l’esprit de ses auditeurs, leur met sous les yeux, des corps percés de coups, et mourant, pour les émouvoir par la vue de ces horribles spectacles : Il imite en cela certains Avocats, qui manquant d’art et de génie pour exciter la compassion dans l’esprit de leurs Juges, faisaient peindre les malheurs de leurs Clients, pour obtenir par ces représentations muettes, ce qu’ils ne croyaient pas pouvoir obtenir par la force de leurs raisons, et de leur éloquence. […] Ces épisodes que l’on ajoute à l’action principale, marquent la stérilité du génie du Poète, qui n’a pas la force de continuer une seule action jusqu’au bout, et qui emprunte des sujets étrangers, pour remplir le vide de ses scènes. […] Les deux plus grands génies de l’antiquité, Homère, et Virgile, ont manqué en ce point.

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