Si le Poëte n’eut fait entrer Athalie dans le Temple qu’au bruit du couronnement de Joas, comme le rapporte l’Ecriture Sainte, elle n’eût paru qu’une fois à la fin de la Piéce, & le Spectateur n’auroit pas conçu pour elle toute l’horreur qu’il doit avoir : il falloit trouver un moyen pour la faire auparavant paroître sur la Scene, ce qui n’étoit pas aisé, puisque le lieu de la Scene est dans le Temple : il a supposé que troublée par un songe, elle est sortie pour aller au Temple de Baal, & par une crainte superstitieuse pour le Dieu des Juifs qu’elle veut appaiser, elle est entrée dans son Temple. […] A peine Achille est entré sur la Scene, qu’on connoît ses Mœurs par sa réponse à Ulysse, Dans les champs Phrygiens les effets feront foi, &c. […] Je ne parle point de ces ornemens du lieu de la Scene qui coutoient des sommes si considérables aux Grecs & aux Romains, & au Cardinal de Richelieu : les Piéces médiocres ne méritent pas ces dépenses, & les bonnes n’en ont pas besoin ; mais un appareil théatral, quand il est nécessaire à la Représentation, cause quelquefois un Spectacle agréable, & donne de la dignité à la Piéce, comme dans Athalie : on voit entrer un Enfant, escorté d’une nombreuse compagnie, un Enfant qui s’approche d’une Reine qui l’attend, & qui attire sur lui tous les regards, parce qu’il est le grand Personnage de cette Scene ; dans la suite on voit apporter en cérémonie un bandeau Royal qu’on pose sur une table, avec l’épée de David, & le Livre de la Loi, on voit seul avec un Enfant un homme respectable par son âge, sa dignité, ses vêtemens, & tout à coup ce Vieillard vénérable est aux pieds de cet Enfant. Les Levites entrent, & le serment est prêté en posant la main sur le Livre de la Loi. […] Vit-on jamais un Acteur de l’Opera, entrer ainsi dans la Passion ?
C’est donner l’air de la fable à des sujets Chrétiens, que d’y faire entrer vos fictions.
Cette parole ne vous doit point scandaliser, nous avons appris cette verité d’un certain autheur qui ne vous doit point être suspect de mensonge & de fausseté, en ce point, quoy qu’il en soit le pere, c’est du demon : car Tertullien nous raconte que le diable étant un jour interrogé & pressé par un exorciste, de dire la raison pour laquelle il étoit entré dans le corps d’une femme, ne fit point d’autre réponse que celle-cy, in meo eam inveniL. de Spect. c. 26. […] Disons donc que les choses qui entrent dans les spectacles & dans les comedies ne sont point mauvaises d’elles-mêmes, mais qu’elles deviennent illicites & defenduës par le mauvais usage qu’on en fait. […] Mais l’homme ayant un corps materiel comme celuy des bêtes, & son ame quoy que spirituelle comme l’Ange, y étant renfermée comme une belle captive dans une prison, elle ne peut connoître toutes les choses qui sont dans le monde que par les especes sensibles qui entrent par les sens, comme par les fenêtres de la prison. […] D’où il arrive que la mort & la vie entrent dans l’ame par les fenêtres, c’est à dire par les sens du corps. […] Voulez-vous voir les combats, les victoires, & les triomphes des vertus sur les vices, entrez dans les Seminaires des Ecclesiastiques & dans les Cloîtres des Religieux, & aspice impudicitiam dejectam à castitate, perfidiam casam à fide, sævitiam à misericordia contusam , c’est là où vous verrez avec une extrême consolation, la luxure domtée par la chasteté, la perfidie abbatuë par la bonne foy, la cruauté vaincuë par la misericorde, & la vengeance étouffée par le pardon des ennemies.