Mais, avant d’entrer en lice, je veux imiter un grand prince, qui a cru devoir faire alliance avec les impératrices d’Allemagne et de Russie. […] Retranchons les vignettes, les culs de lampe, les titres des actes et des scènes, les espaces inutiles, les noms des acteurs répétés dix fois dans une page, dont chacun emporte trois ou quatre lignes ; supprimons les monosyllabes oui, non, mais, ouais ; les phrases commencées et interrompues, qui ne signifient rien ; les liaisons triviales, entrez, sortez, on frappe, dont chacune tient fièrement sa ligne, et est honorée du nom d’un acteur, cette réduction est équitable ; il ne faut pas un génie bien transcendant pour enfanter ces prodiges.
Des salles somptueuses dans lesquelles la jeunesse de la Nation de l’un & de l’autre sexe, appellée par sa naissance ou par des dispositions naturelles & des talens supérieurs, à des emplois publics, ou destinée à paroître à la Cour, viendroit à la sortie des classes & des couvents, apprendre à s’énoncer avec décence & avec graces, & représenter des jours mémorables choisis dans l’histoire, devant une multitude de spectateurs qui n’auroient acheté le droit d’y entrer, que pour contribuer aux sommes immenses que produiroit ce droit, seroit peut-être le projet le plus beau que l’on pourroit exécuter, pour la renaissance des lettres qui ont dégénéré, pour l’éducation de la jeunesse encore imparfaite, & pour le bien & l’avantage général de la Nation. […] Les personnages ne doivent entrer sur la scène, y rester & en sortir qu’animés & transportés des sentimens les plus grands, les plus vifs & les plus délicats : alors les interlocutions du dialogue deviennent peu de chose, toutes les scènes ne sont plus qu’un composé de monologues enchaînés avec art l’un à l’autre ; la fin de chaque acte amene naturellement des fêtes & des danses, & l’ensemble de ce spectacle doit former une illusion d’autant plus parfaite, qu’il joint à la cadence des vers & aux charmes de la poésie, la mélodie du chant, l’harmonie des accords, & tout l’enchantement de la Musique, soutenu par l’éclat brillant & le prestige de la peinture.
C’est pourquoi nous ne faisons pas consister la chasteté, seulement en l’abstinence de la jouissance des voluptés charnelles ; mais aussi en celle des paroles et gestes peu honnêtes, lesquels aussi entrent sous le genre de telles débauches ; soit qu’on les profère ou qu’on les imite en particulier ; soit qu’on les exerce en public : mais surtout en ce dernier, pource que le danger est plus étendu, et la contagion plus grande, et que plus il y a de spectateurs et auditeurs, plus on y emploie d’artifices, attraits, et allèchements, qui sont aussi le plus souvent promis par exprès, ès affiches de ces ouvriers d’iniquité. […] Pour cette cause l’Ecriture recommande si souvent la conduite et précaution nécessaire aux yeux et aux oreilles, parce que les vices entrent par ces fenêtres, et que les hommes par ce qu’ils voient et oient, sont attirés à ce, à quoi possible n’eussent-ils point autrement pensé. […] Car ils sont en scandale et en achoppement aux infirmesbd, qu’ils attirent dans les filets par leur exemple principalement, les personnes d’autorité, et de plus grande qualité, quoique d’ailleursbe sages et graves : Car posé même que par leur présence ils retinssent en quelque sorte l’insolence et l’immodestie des acteurs, pour ne dire rien devant eux qui sentît l’ordure et l’infameté : si est-ce que cette porte étant ouverte, tout le monde s’émancipebf d’entrer ès théâtres communs, et y voir et ouïr tout ce qu’il plaira à ces fripons d’étaler, quand une fois ils les tiendront en leur eschebg d’impudicité et d’effronterie. […] Comprendre : tout le monde s’autorise à entrer.